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VLASTO -s- AVFC PRÉFACE DE M. EMILE BURNOUP L'iiistoire esi une résurrection. t Iules Michelet.) PARIS ERNEST LEROUX, EDITEUR LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE DE L*ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC. 28, RUE BONAPARTE, 28 J883 Digitized by Google f)/\&, isrs.é Harvard Oollege Library, Gift of Joseph Bandolph Ooolidw l Jnne, 1809 • Digitized by Google PRÉFACE jN va lire^ avec un intérêt mêlé de tristesse, le récit des derniers jours de Constantinople. Ce n'est point un tableau de fantaisie; ce sont les faits, tels que les écrits du temps nous les font connaître. M. E. Vlasto vient d'accomplir une œuvre patriotique et juste, en les mettant sous nos yeux dans leur réalité navrante. L'Europe avait sur la mer Noire et l'Egée, en face de TAsie, un rempart qui la protégeait depuis huit siècles contre l'invasion musulmane : c'était Tempire d'Orient. Les hordes des Croisés le sapèrent une première fois dans ses fondements et l'Europe le ruina de ses propres mains. En 1437, cet empire, qui avait eu un budget de trois milliards, ne pouvait plus payer le voyage de ses envoyés en Italie; la ville, qui avait eu peut-être un million d'bja- Digitized by y Google Il PRÉFACE bitants, n'en comptait plus que quatre- vingt mille. Les Ottomans occupaient ses alentours et avaient leur centre provisoire à Andrinople. II ne leur restait plus qu a frap- per un dernier coup, et le chemin de Vienne allait s'ouvrir devant eux. La chute de l'empire grec et l'établissement des Sultans en Europe furent la conséquence des Croisades. Les Croi- sades avaient eu pour motifs, non seulement la reprise du Saint-Sépulcre, mais aussi la lutte de la papauté contre TEglise orthodoxe. C'est ce que prouvèrent la prise de Cons- tantinople par les Croisés, la fondation de leur royaume éphémère et la tentative infructueuse de soumettre les chrétiens* d'Orient au régime de la féodalité et des épis- copats catholiques. Mais l'absorption de l'hellénisme " par une puissance extérieure a toujours échoué. Les anciens Romains n'a- vaient pu moralement le conquérir. Maîtres par l'admi- nistration politique et militaire de leurs proconsuls et de leurs préfets, ils avaient dû respecter les institutions ci- viles et religieuses du pays. Héritiers des empereurs, les évêques de Rome virent leur ambition se briser contre l'esprit national et le be- soin d'indépendance des peuples grecs. L'empire latin de Constantinople ne dura que soixante ans. Les Otto- mans n'ont pas eu plus de succès : campés au sein des populations hellènes, ils n'ont pu, en quatre cent trente Digitized by Google PRÉFACE lit ans, se les assimiler. Grecs et Turcs sont juxtaposés sur le même sol, comme deux produits chimiques qui se mé- langent sans se combiner. On le verra dans ce livre : c'est par l'union des deux Eglises que la papauté s'efforça d'absorber les chrétiens orientaux et de réaliser sa domination universelle. Vai- nement : TEglise orthodoxe ne peut pas être absorbée, parce qu'il y a entre elle et TEglise romaine des différences constitutives, une puissance de traditions nationales et un esprit de liberté qui donnent aux populations hel- lènes leur personnalité dans Thistoire. L'expérience dé- cisive fut faite en 1453. Un jour, dans un péril extrême, quand les Turcs étaient aux portes de la capitale, des évêques grecs venus au concile de Florence cédèrent aux prétentions dé Rome. Mais le peuple grec ne ratifia pas leurs concessions; le dogme populaire ne fut pas modifié; la hiérarchie ecclésiastique resta la même. Une autre cause s'opposera jusqu'à la fin à la réunion des deux grandes fractions de la chrétienté. C'est la dif- férence du rôle que les Grecs et les Latins ont à jouer en face de llslam. Tout ce que pensent et font les Mu- sulmans est le contraire de ce que font et pensent les Chrétiens. Mais les Latins ne sont pas en contact avec l'Islam au même degré ni dans les mêmes conditions que les Grecs. En effet, les chrétiens d'Occident sont les maîtres, en Algé- Digitized by Google IV PRÉFACE rie, dans llnde et ailleurs. Au contraire, plus de la moi- tié des Hellènes est encore sous le joug des Musulmans. Un Français d'Algérie n'a pas Tidée de se faire mahomé- tan, parce qu'il n y trouve pas son intérêt. Un Hellène y trouverait peut-être le sien; mais, du même coup, il per- drait sa nationalité, sa dignité morale et tomberait dans le mépris public. I^ lutte contre Tlslam est donc sa loi ; et rhostilité devient pour la communion orthodoxe un prin- cipe conservateur. Cet antagonisme n'existe pas pour les Latins et la foi manque chez eux de son aliment le plus .énergique^ en même temps qu'elle y subit Faction dissolvante des sciences positives. Le monde occidental s'est donc, trompé deux fois, à trois siècles d'intervalle : au temps des Croisades, en atta- quant l'empire byzantin, qui le couvrait; au xv* siècle, en ne le défendant pas contre TAsie. Les deux fois, il a été poussé par la fausse idée d'absorber l'Eglise orthodoxe dans sa propre communion. L'abandon de Constantinople par l'Europe en 1453 a eu plusieurs effets, sur lesquels on ne saurait trop médi- ter. Il a totalement, et une fois pour toutes, détaché les chrétiens orientaux du catholicisme et fait de la papauté une chose détestée parmi eux. Il a consommé le schisme. En livrant Constantinople aux Ottomans, on a fortifié chez les Grecs le sentiment national, soumis depuis lors à des luttes et à des persécutions sans relâche. Les Grecs Digitized by Google PRÉFACE . V se sont peu à peu persuadés que les nations européennes les ont soutenus quand elles ont eu intérêt à les soutenir, et qu'elles les abandonneront sans défense quand la poli- tique leur conseillera de les abandonner. La qualité de chrétiens n'est plus rien pour elles. Naguère encore, dans les parlements, daps les correspondances diplomatiques et dans la presse, on mettait en avant la protection des chrétiens d'Orient ; ces mots ne sont plus de mode ; la Russie elle-même, coreligionnaire des Grecs, a usé cette corde sonore de sa politique d'annexion. Les Hellènes, de leur côté, ne vejilent plus se battre pour le bénéfice d au- trui; la domination russe, anglaise ou autrichienne leur est odieuse, au même titre que le despotisme des Turcs. Ils veulent vivre et agir pour eux-mêmes. Leur but est de reconstituer le panhellénium; le Bosphore est leur Ti- bre. Toutes les guerres intestines de l'Europe, toutes les fautes de sa diplomatie sont mises par eux à profit pour obtenir un agrandissement de territoire et faire un pas vers la Ville. Les Croisades d'abord, ensuite l'abandon de l'Empire grec aux Musulmans ont légué à l'Europe l'inextricable question d'Orient. Elle n'a pas été créée à cette époque; elle est, pour ainsi dire, perpétuelle. L'expédition légendaire de Troie, les conquêtes de Cyrus, les guerres de Darius et de Xercès, promptement suivies de celles d'Alexandre, en ont été les principales phases dans l'antiquité. Alexan- Digitized by Google VI PRÉFACE dre semblait l'avoir résolue; la Grèce touchait à l'Océan at- lantique, à l'Altaï et au Guzarat, quand Rome vint déna- turer le problème et le déplacer à son profit. Mais, à son tour, elle se vit forcée de scinder son propre empire et de reconnaître l'empire byzantin. Rome tonlbait; les Hellè- nes recouvraient leur indépendance. Ils en firent un médiocre usage, il faut bien l'avouer, puisqu'ils dépensèrent une grande partie de leur temps et de leurs ressources à soutenir des guerres dogmatiques et dynastiques, où la civilisation était peu intéressée et où leur propre unité était de nouveau compromise. La pa- pauté profita de leurs fautes, les princes féodaux de com- munion romaine firent les Croisades et occupèrent Cons- tantinople. Pendant les six siècles qui suivirent et qui mènent jus- qu'à nos jours, les Grecs ont vécu dans une servitude qu'ils n'ont jamais acceptée, servitude féodale, servitude musulmane. L'événement de 1453 précipita la décadence des papes et de la féodalité : la fleur des seigneurs féo- daux s'était abîmée dans les marais de la Grèce centrale; la papauté s'était montrée incapable de servir de rempart à l'Europe latine. Les nations européennes, dont une partie se fit protes- tante, pourvurent elles-mêmes à leur unité et prirent cette force d'expansion qui, aujourd'hui plus que jamais, les pousse dans toutes les directions. Soumise à un travail in- Digitized by Google PRÉFACE , VII cessant d'organisation intérieure, chacune d'elles veut, en outre, étendre son influence au-dehors. De là ces compé- titions et ces guerres qui, longtemps encore, ne laisseront à TEurope aucun repos. C'est ce mouvement irrésistible d'expansion qui produit toutes les complications modernes de la question d'Orient. A mesure qu'une nation vient au jour, elle est entraînée à y jouer son rôle, sous peine d'être absorbée par quelque nation voisine. Voyez la Russie, la Prusse et l'Italie, les derniers venus des Etats européens. Le rôle de la Grèce est très clair. Son but est de dé- truire l'œuvre de 1453 et de renaître à la lumière. Comme nous, elle exécute son travail d'organisation intérieure, pour lequel elle a un avantage dont nous n'avons pas joui : elle s'est unifiée par la communauté de la servitude ; il n'y a chez elle ni traditions féodales, ni prétentions dynasti- . ques} elle est entrée de plain-pied dans la démocratie. Quant à sa force d'expansion, elle a un. but prochain, lé- gitime et bien défini, la reconstitution de l'Hellénisme dans son unité. La Grèce, en effet, ne conquiert pas, elle revendique ; elle ne prend pas les provinces d'autrui, elle reçoit des frères qui viennent à elle. L'habileté de ses chefs consistera longtemps encore à fortifier l'unité intérieure par les moyens dont la civilisa- tion dispose, et à maintenir contre les empiétements eu- ropéens le droit héréditaire des Hellènes sur les pays Digitized by Google VIII PRÉFACE grecs conquis par l'Islam. Le temps des luîtes nest point passé} s'y préparer doit être la préoccupation constante des Hellènes. Le triomphe final est une question de temps, de prévoyance et d'abnégation ; le sacrifice du jour est un sacrifice d'argent et de travail ; celui des hommes revien- dra à son heure. Le dieu du temps dévore les générations présentes au profit des générations futures; mais le sacri- fice n'est jamais stérile. Constantinople a été le dernier rempart détruit ; elle sera le dernier centre recouvré , comme la ville de Rome, qui a été successivement occu- pée par tant d'armées européennes et qui finalement est revenue aux Italiens. Emile Burnouf. Digitized by Google LA PRISE DE CONSTANTINOPLE PAR LES TURCS OTTOMANS EN 1453 E traité de Berlin est le premier acte d'un drame qui aura pour dénouement fatal le partage de Tempire des sultans ; la question d'Orient ne tar- dera pas à entrer dans une nouvelle phase, et nul doute que Constantinople, dans un temps plus ou moins éloi- gné, ne change encore une fois de maître ; car, tandis que les Turcs disparaissent peu à peu de la scène du monde comme nation indépendante, les autres nationalités de rOrient, qui en étaient effacées, reviennent à la vie et ré- clament leur place au soleil de la civilisation et de la li- berté. C'est un moment favorable, psychologique, et il nous a paru opportun de le choisir pour entreprendre de raconter comment était tombé ce qui restait de l'Empire Digitized by Google 2 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE grec. Nous retracerons ce douloureux épisode d'après les travaux des annalistes et des historiens grecs, et en par- ticulier d'après l'ouvrage de M. C. Paparrigopulo. La conquête de Constantinople par les Ottomans est considérée, en général, comme l'événement politique le plus important du xv* siècle ; il sert de point de démarca- tion entre l'histoire du moyen âge et celle des temps mo- dernes. Quoique datant de plus de quatre siècles, cet évé- nement a laissé une blessure toujours saignante au cœur de tout patriote hellène, pour qui, malgré l'accumulation du temps, Constantinople restera à jamais la Sion politi- que de sa race. L'empire d'Orient, affaibli par les croisades, ruiné par des troubles intérieurs et n'ayant d'autre espoir que les remparts de sa capitale, ne pouvait que succomber sous les efforts furieux de Mahomet II, et devenir la proie de la barbarie jointe au fanatisme. On put croire alors la race hellénique menacée d'une ruine totale ; mais elle formait une nation constituée d'après les rapports naturels d'origine, de mœurs, de langage, fortement unie par les souvenirs d'un passé glorieux, et douée d'une vitalité capable de résister aux plus violentes catas- trophes. La preuve s'en fit après la chute de l'empire; en effet, plusieurs siècles de tyrannie et de sombre barbarie ne purent détruire l'unité que les Grecs doivent à l'éton- nante conservation de leur langue et de leur foi re- ligieuse. Et, malgré quelques faits isolés d'apostasie et de trahison, malgré la conversion forcée à l'Islamisme de plusieurs groupes de populations, on vit leur patriotisme, non-seulement ne point périr, mais au contraire prendre avec le temps de nouvelles forces. Retrempés aujourd'hui dans une lutte presque îninter- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 3 rompue de quatre siècles, les Hellènes sont parvenus à reconquérir en partie leur indépendance ; ils n'oublieront pas que Taide du ciel n'est donnée qu'aux peuples qui la méritent, c'est-à-dire qui travaillent courageusement à s aider eux-mêmes. Digitized by Google Digitized by Google CHAPITRE PREMIER JEAN VIII Paléologue commit la même faute que^ son prédécesseur j l'empereur Michel * : au lieu de s'occuper de réorganiser^ dans la mesure du possible, les moyens d'existence de l'Etat, il attendait tout de l'Eu- I. Michel Paléologue (1260-82) fut d*abord tuteur du jeune fils de Théodore Lascaris, empereur de Nicée, Jean Lascahs, dont il fit brûler les yeux en 12G1 pour rester seul maître du pouvoir souverain. Son général Alexis Stratégo- poulos, avec 800 cavaliers et un petit nombre de fantassins, s'empara par surprise de Constantinople le 26 juillet 1261, et mit ainsi fin à l'empire latin de Constantinople. La ville de Constantin, que les Francs avaient occupée pen- dant 57 ans et trois mois, redevint alors la capitale de l'empire. Michel Paléologue, au lieu de continuer à réorganiser les forces et les ressources de l'empire, qui n'étaient pas à dédaigner, — à preuve les divers succès rempor- tés maintes fois sur ses ennemis, — au lieu de chercher à consolider et à éten- dre ses États, reprit le déplorable système de solliciter l'alliance des étrangers en leur concédant de grands avantages ruineux pour l'Etat. Il eut aussi le malheur de croire qu'il ne pouvait conserver son indépendance qu'en gagnant les bonnes grâces du pontife romain ; et, en mendiant à tout prix la protection des papes, il se créa d'immenses difficultés à Tintérieur, paralysa ses propres moyens, et fonda une politique qui, ayant depuis prévalu en Orient, amena, sous ses suc- cesseurs, l'abaissement et enfin la ruine de l'hellénisme. Tandis que Michel Paléologue aurait dû, avant tout, appliquer tous ses soins Digitized by Google 6 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE rope occidentale. Mais, quand il demandait aux Francs * avec plus d'instance, surtout depuis la prise de Thessalo- nique et de Jannina par les Turcs, de lui fournir des se- cours sérieux, ceux-ci le renvoyaient au pape qui aspirait, avant tout, à Tunion des deux Eglises. En 1489, le fa- meux concile de Florence put enfin se réunir; toutefois, il est d'abord nécessaire de donner quelques détails sur à corroborer Tesprit militaire de ses sujets, à développer un grand et profond sentiment de patriotisme et d'honneur national; par ses continuelles conces- sions à TEglise de Rome, il porta les esprits à de vaines querelles et à de terri- bles dissensions religieuses. Ce système politique, faux et dangereux A tous les points de vue, après avoir eu de si désastreux résultats pendant le règne d'un homme qui incontestablement ne manquait pas de qualités militaires et admi- nistratives, devait tout naturellement, fatalement, produire encore de plus grands désastres sous ses faibles successeurs. A quoi donc aboutirent ces longs efforts pour réunir les deux Eglises et cet abaissement voulu devant la papauté? A ce que le pape Martin IV repoussât dé- daigneusement et sans vouloir même les entendre, les envoyés de Paléologue, et que ce dernier devînt pour ses sujets un objet d'horreur et d'exécration. Lorsque l'empereur se trouvait encore à Nicée, par la convention de Nymphae- um, il assura aux Génois d'importants et de nombreux avantages commerciaux et politiques, reconnut la plupart de leurs conquêtes, et leur donna la pleine possession du faubourg de Galata. Conséquent avec ce désastreux système, Mi- chel Paléologue en 1 268 conclut un traité avec les Vénitiens, par lequel ceux-ci lui promettaient bien des secours contre ses ennemis, mais, par contre, il leur accordait le libre trafic dans ses États par terre et par mer, sans payer de droits, reconnaissait au Bayle Vénitien, résidant à Constantinople, des pleins pouvoirs sur ses concitoyens, nullement soumis aux lois du pays, reconnaissait à la répu- blique de Venise la possession de Méthone, Corone, de l'île de Crète, d'une par- tie de l'Eubée, ainsi que de diverses autres îles de l'Archipel dont s*étaient em- parés des nobles Vénitiens. C'est principalement depuis le règne de Michel Paléologue que, par malheur, s'est formée Topinion politique que nous devons attendre notre salut du dehors, que nous ne pouvons exister que par le secours et la protection de l'étranger, que pour les obtenir nous devons leur céder chez nous des privilèges même in- compatibles avec nos intérêts, admettre et reconnaître leurs prétentions d'absolue suprématie sur des pays essentiellement grecs, enfin étouffer notre propre cons- cience religieuse, en abdiquant l'indépendance de notre Eglise. I. Nous entendons par « Francs » tous les Occidentaux soumis au pape. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 7 cette question religieuse et sur les efforts précédemment dirigés vers ce but. Les tentatives de l'union des deux Eglises étaient vai- nes, à notre avis, car les partisans du pape appelaient union la soumission aveugle et absolue de l'Eglise grec- que à TEglise de Rome, tandis que les Grecs ne vou- laient point accepter sans restrictions cette suprématie, craignant de la voir en même temps influer d'une ma- nière fatale sur l'existence politique de la nation. Cepen- dant, pour l'appréciation des événements du passé, This- torien éprouve souvent la même difficulté dans laquelle se sont trouvés ces hommes politiques qui ont été forcés de décider la voie qu'ils devaient choisir. Par suite de l'extrême relâchement des mœurs et des désordres de tout genre auxquels était en proie, à cette époque, le christianisme en général, l'empereur Jean avait raison, jusqu'à un certain point, de n'attendre le salut que de l'assistance effective de l'Europe; et peut-être était-il en droit de croire que son devoir était de renouve- ler les démarches pour arriver à l'union et obtenir alors cette aide si nécessaire. Du temps de Michel Paléologue, ces tentatives étaient irrationnelles, car, — les faits mêmes le démontraient, — le christianisme de l'Orient conservait encore des forces suffisantes pour repousser énergique- ment tout ennemi du dehors et notamment la conquête musulmane. Mais, dans l'intervalle de ces deux siècles, l'hellénisme, à cause des nombreuses fautes consécutives du gouvernement byzantin, était tombé dans une grande faiblesse ; par conséquent, il devait toujours tenter de faire par lui-même ce qui était encore possible; mais ce possi- ble était si peu de chose, qu'en vérité l'empereur n'était pas trop blâmable si, en cette occurrence, il pensait que le Digitized by Google 8 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE salut de l'Etat dépendait avant tout de l'Europe. En ce moment aussi, une plus grande modération dans les exi- gences du pontife romain ne paraissait pas non plus im- probable, vu les graves querelles intestines qui déchi- raient également TEglise occidentale. On pouvait, en outre, s'attendre à de meilleures dispositions de la part des La- tins pour venir au secours des Byzantins, car l'Allemagne particulièrement, voyant ses provinces orientales exposées aux incursions des Turcs, devait être plus disposée à un effort généreux, en s'alliant avec d'autres peuples plus belliqueux, ceux du Danube et de l'Adriatique. Par mal- heur, la crise même que traversait alors l'Eglise romaine et le danger imminent du christianisme en Orient ne réus- sirent pas à restreindre les prétentions immodérées du pape qui, non-seulement voulait dominer l'Eglise, mais encore faire prévaloir le dogme que l'Etat doit obéir à l'E- glise. Néanmoins, si, de toutes les forces de notre cœur et de notre raison, nous devons reprocher à ce pasteur des fidèles de placer son ambition et ses propres intérêts au- dessus des intérêts bien plus grands de la chrétienté, nous n'osons pas également condamner ce malheureux monar- que de Constantinople qui, dans cet instant suprême, crut que c'était son devoir de tout tenter de nouveau pour toucher le cœur du pape et le convaincre qu'il devait con- courir à cette lutte pour le salut de la chrétienté tout en- tière. A cette époque, avons-nous dit, l'Eglise occidentale tra- versait une période très critique; en effet, les nombreux abus auxquels s'étaient portées l'ambition et l'omnipo- tence papales avaient, d'un côté, soulevé en Bohême une violente opposition de la part des Hussites, tandis que, de l'autre côté, ils avaient fini par persuader même les plus Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 9 sincères partisans de TEglise, qu'il fallait absolument trou- ver un remède à tant de maux et redresser ce qui était défectueux. Depuis 1431 siégeait à Bâle un grand concile qui, dès le début, déclara que son principal objet était de faire ces- ser les abus du clergé et de réformer l'Eglise en son chef comme en ses membres, en ramenant l'ancienne disci- pline. Il va sans dire que le pape régnant, Eugène IV, ne vit pas d'un oeil favorable ces dispositions des pères du concile^ et proposa, dès le commencement, de le trans- porter à Bologne. Une des nombreuses raisons qu'il met- tait en avant pour faire agréer sa proposition était que, le concile siégeant en Italie, les pourparlers au sujet de l'union des deux Eglises seraient rendus plus faciles. De fait, le principal motif pour lequel Eugène IV exigeait cette translation en une ville italienne était que, dans ce cas, le concile s'inclinerait plus docilement devant son influence. Toutefois, les membres du concile repoussèrent sa propo- sition et réfutèrent toutes les raisons et les arguments qui la corroboraient. Quant à la question de l'union, ils lui dirent que c celte chanson concernant les Grecs, qui du- « rait depuis plus de trois cents ans, serait reprise chaque « année, et que, pour le moment, il était beaucoup plus « sage, au lieu de courir après cette ombre, de négocier « avec les Hussites qui, tout récemment, s'étaient séparés « de TEglise; et que, au demeurant, on pourrait, en même « temps, négocier et avec les Hussites et avec les Grecs. > — Le pape ordonna alors la dissolution du concile de Bâle et la réunion d'une nouvelle assemblée à Bologne; mais les pères siégeant à Bâle persévérèrent et continuè- rent leurs travaux, déclarant que tout concile général est supérieur au pape, et que le concile de Bâle en particulier Digitized by Google lO LA PRISE DE CONSTANTINOPLE ne saurait être dissous^ prorogé ou déplacé sans son pro- pre consentement par nulle puissance, pas même par celle du pape. Cela se passait en 1432, et, jusqu'en 1434, Eu- gène IV ne put rien opposer à l'action du concile, auquel obéissaient les hommes les plus remarquables du clergé latin et les cardinaux, agissant tous de concert. Cepen- dant lorsque, en cette année, le concile voulut réduire éga- lement les droits et les privilèges des cardinaux, ceux-ci s'en séparèrent, et le pape, reprenant courage, proposa de nouveau, comme un motif très important de déplacement, les négociations concernant Tunion de TEglise grecque. Il est évident que cette question pouvait se traiter tout aussi bien à Bâle ; et, de plus, s'il y avait quelque chance de voir aboutir ces négociations, on ne pouvait en espérer la réussite qu'en traitant à Bâle; car ce concile, qui avait déjà condamné l'omnipotence du pape, se serait ainsi trouvé d'accord avec les Grecs sur la question la plus importante de toutes celles qui divisaient les deux Eglises. Les Grecs le comprirent bien : aussi, lorsque le concile de Bâle, afin de détruire également ce dernier prétexte du pape, se mit en rapport direct avec les Byzantins, l'empe- reur Jean VIII répondit qu'il se rendrait volontiers à Bâle, si on lui envoyait à Constantinople les navires nécessaires pour lui et sa suite. Les navires envoyés par les pères du concile arrivèrent eflectivement, mais ceux du pape les avaient déjà devancés. A Constantinople se trouvaient donc les représentants des deux partis opposés : ils s'effor- çaient, chacun de son côté, d'attirer, par tous les moyens possibles, l'empereur dans leur parti. Non-seulement les délégués du pape offrirent, à titre de frais de voyage, la misérable somme de 5, 000 florins, et les représentants du concile proposèrent immédiatement le double, mais en- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS II core les équipages des navires des deux partis faillirent en venir aux mains dans le port. Triste spectacle! Tandis que le chef de l'Eglise occidentale cherchait ardemment à ame- ner la réunion des deux Eglises, la sienne propre était sé- parée en deux camps qui se trouvaient en guerre achar- née. Le cardinal ^neas Sylvius, qui plus tard fut pape sous le nom de Pie II, pouvait écrire que TOrient se riait de la folie des Latins qui, divisés entre eux, avaient la pré- tention de réunir à eux d'autres dissidents. Cependant les peuples de l'Orient n'avaient pas lieu de se réjouir : par suite de l'ambition et des mauvais desseins du souve- rain pontife, des malheurs incalculables devaient surve- nir peu d'années après. Au milieu de tant de tiraillements, l'empereur se décida à se rendre dans l'Europe occiden- tale, vers la fin de 1437 : il laissa le gouvernement de l'E- tat à son frère Constantin, qu'il avait fait venir exprès du Péloponnèse. Avant son départ, il n'avait encore incliné vers aucun des deux partis. Dans sa dernière entrevue avec les envoyés du concile, il avait bien dit qu'il partait sur les vaisseaux du pape, mais qu'il se réservait, après son arrivée en Italie, d'attendre que le pape et les pères du concile se fussent mis d'accord sur la ville où devait se réunir le nouveau concile; il avait ajouté qu'il contribue- rait, dans la mesure de ses forces, à ce résultat, et que, si l'entente pouvait se faire, tout irait bien; dans le cas con- traire, i! reviendrait simplement chez lui. Ce fut le langage qu'il tint au représentant du concile, Jean de Raguse, qui alors quitta également Constantinople avec ses navires. Dans son for intérieur cependant, Tempereur comprenait bien que, dans ce diflFérend, il serait à la fin obligé de se mettre du côté du pape plutôt que du concile. Les esprits n'étaient pas encore suffisamment mûris en Europe pour Digitized by Google 13 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE vouloir briser la domination papale; et lorsque^ cent ans après^ ils se soulevèrent avec beaucoup plus de force et de volonté qu'au xv* siècle, on ne parvint pas même alors à réformer le catholicisme romain^ et une grande partie de l'Europe dut s'en séparer violemment. L'institution de la puissance papale a de tout temps été, pour des raisons que nous n'avons pas à rechercher ici, si fortement constituée que, même de nos jours, il est fort douteux qu'on par- vienne à la restreindre. Vers le milieu du xv*^ siècle, l'œu- vre était encore plus ardue. Non-seulement le clergé supérieur abandonna le concile de Bâle dès qu'il osa porter la main sur ses immenses pri- vilèges et revenus, mais, en outre, les princes temporels, quoique désirant la réussite des décisions réformatrices du concile, hésitaient à le suivre jusqu'aux dernières consé- quences de la guerre qu'il avait soulevée, c'est-à-dire jus- qu'à la ruine de la suprématie papale. De cette situation nous devons inférer que Jean Paléologue n'aurait pas dû quitter sa capitale; et même, aurait-il mieux fait peut-être d'abandonner lé projet d'union qu'il considérait comme la dernière ancre de salut pour les chrétiens d'Orient. — L'empereur se trouvait donc bien embarrassé, vu la si- tuation embrouillée des affaires en Europe; il faut dire aussi que les affaires en Orient traversaient une crise non moins dangereuse, précisément à cause de ce projet de voyage. Avant de partir, Jean Paléologue crut nécessaire d'informer le sultan Mourad II de ses intentions. Le sul- tan , qui connaissait parfaitement la vraie cause de ce voyage, n'y fit point d'allusion ; il lui répondit seulement en termes vagues qu'il n'approuvait pas cette démarche : « A quoi bon, disait-il, s'exposer à tant de fatigues et à tant « de dépenses? Si l'empereur avait besoin d'argent, il était Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS l3 « prêt à lui fournir la somme qu'il demanderait. » Alors on discuta longtemps à Constantinople s'il fallait écouter le conseil du sultan; à la fin, cependant, le départ fut ré- solu. Mdurad II, irrité, voulut d abord assiéger immédia- tement Constantinople, et il ne fut détourné de l'exécution de son projet que par le grand visir Khalil-Pacha, qui était déjà gagné par la cour de Byzance, et qui, parlant en sa faveur, fit observer à son maître que, sous le coup d'un danger imminent, l'empereur se résoudrait à conclure l'union à tout prix, et parviendrait ainsi à obtenir l'assis- tance de tout rOccideAt, tandis qu'en continuant à vivre en paix avec Constantinople, le résultat des pourparlers devenait problématique. « Si l'union se fait, ajouta-t-il, t nous pouvons remettre l'attaque à un autre temps ; dans « le cas^contraire, nous pourrons la tenter avec beaucoup € plus de chances de succès. » Phranzès avait, par consé- quent, raison, jusqu'à un certain point, de dire que la ques- tion du concile « était la première et la principale cause qui « attira sur Constantinople l'attaque des infidèles et, par tr suite, le siège, la captivité et toutes nos misères » . Le siège et la chute de la ville auraient eu lieu certainement même sans le concile et les scènes déplorables et scandaleuses qui s'ensuivirent ; mais il n'en est pas moins vrai que tous ces faits, qui ont eu un si misérable résultat, ont précipité la crise finale. En outre, les esprits, dans le monde chrétien de l'Orient, n'étaient nullement disposés à sacrifier même la partie la plus infime de leur indépendance religieuse, même avec l'espérance de sauver leur liberté politique. L'empereur croyait nécessaire de faire des concessions; était-il néanmoins probable qu'il serait en mesure d'impo- ser son opinion, quand le chef lui-même de sa maison, possédant beaucoup plus de ressources, était tombé à la Digitized by Google 14 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE fin victime de semblables tentatives? Ce qui nous paraît plus étrange, c'est que le patriarche œcuménique Joseph, bien qu accablé par la vieillesse et la maladie qui devait, quelques mois après, amener sa mort, se décida avec non moins d'empressement à suivre l'empereur dans un voyage si pénible et si fatigant, non pour l'aider à gagner la pro- tection et l'assistance de l'Occident, mais dans le seul but de se créer une position plus indépendante envers le pou- voir temporel ; il s'imaginait qu'il pourrait s'entendre avec le pape sur un pied de parfaite égalité, et que de cette manière, il reviendrait à Constantinople plus puissant que par le passé. C'est ce qu'atteste l'historien grec du concile de Florence, Sylvestre Syropulo, grand ecclésiastique de Sainte-Sophie, lorsqu'il dit : « Par l'entremise du pape, il t espérait délivrer l'Eglise de la servitude qui lui avait été « imposée par l'empereur. » Il est vrai que le gouverne- ment impérial de Byzance avait eu souvent la prétention de gouverner, suivant son bon plaisir, les affaires ecclé- siastiques; mais, dans la période présente, quand le danger provenant des grandes hérésies avait complètement cessé, cette prétention se trouvait déplacée et hors de saison. Etait-ce toutefois le moment convenable pour de telles plaintes? Et surtout était -il possible de supposer que les négociations se feraient sur le pied d'une parfaite égalité? L'empereur, du moins, à ce que nous voyons, ne se faisait pas d'illusion à ce sujet; il partait plutôt avec l'intention d'obtenir des secours de l'Europe en se sou- mettant à tous les sacrifices, et il fermait les yeux à l'impression funeste que ces sacrifices allaient produire sur ses sujets, aussi bien que sur tout le clergé d'Orient. Voulant avoir le plus grand nombre de participants pos- sible dans le sacrifice qu'il méditait, il emmena avec lui. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS l5 outre le patriarche de Constantinople, Joseph, un grand nombre d'archevêques, d'évêques, de moines, d'autres dignitaires du clergé séculier et des hommes érudits. Parmi les prélats qui suivirent Tempereur, les plus remarquables par leur savoir et leur éloquence, étaient les évéques Marc d'Ephèse, Denis de Sardes, Vissarion (Bessarion) de Nicée, qui, à cette occasion, furent promus au rang d'archevê- ques. En outre, s'embarquèrent avec Jean Paléologue les archevêques et évêques de Trébizonde, d'Héraclée, de Nicomédie, de Cyzique, de Tournovo, de Monembasie, de Rhodes, de Lacédémone, d'Amasie, de Mitylène, de Stavropol, de Moldo-Valachie, de Mélénik, de Drama, de Ganes, de Drista et d'Anchialos, ainsi que le métropo- litain de Kiefï, Isidore, en qualité de représentant de l'Eglise russe. Se trouvaient également dans la suite impériale les représentants des patriarches d'Antioche, d'Alexandrie et de Jérusalem, et presque tous les hauts fonctionnaires de la grande Eglise de Constantinople ; parmi eux était Syropulo qui écrivit, comme nous le disons plus haut, l'histoire du concile de Florence, Nous ne men- tionnerons^pas en détail les chefs des couvents, les moines, les chantres et autres clercs embarqués sur cette flotte qui, nous pourrions le dire en toute vérité, portait la fortune du peuple hellène; il nous faut cependant citer parmi les savants : Gemistus et Georges Scholarius qui, entré plus tard dans les ordres, prit le nom de Gennadius et devint le premier patriarche œcuménique, après la prise de Constan- tinople par les Turcs Ottomans. Afin que le clergé oriental se présentât avec plus de splendeur et de dignité, on emporta sur les navires les ornements et les vases les plus beaux et les plus précieux qui rehaussaient l'éclat de ce temple incom- parable, dédié à la Divine Sagesse, le trésor impérial et Digitized by Google l6 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE enfin ce qui existait encore de l'antique gloire de Byzance. Pour ce voyage, l'empereur abandonna au clergé ô^ooo flo- rins sur les 1 5,000 qu'il avaitiui-même reçus des Latins à titre de frais de route; mais le partage de cette somme donna lieu à de basses discussions et à de nombreuses disputes, qui, par malheur, devaient se renouveler au sujet de la pension que, plus tard, le pape fixa aux Byzan- tins, pendant la durée du concile. Mais, laissons là ces scènes dégradantes, et tournons notre attention, pour nous consoler, vers les deux messes solennelles qui furent cé- lébrées, quelques jours avant le départ, dans T Eglise de la Sagesse Divine et dans un couvent de la Sainte-Vierge ('OStj-rtTpia, conductrice), très imposantes cérémonies, où, entre autres prières, retentit avec ferveur celle-ci : « Prions « en outre pour la paix, Theureux voyage, la réforme et « Tunion des Eglises du Christ. > Digitized by Google (■^,f^^'^^ii^F>^lf/ïî Sr K^IK S^l (^j^-h w^o,<:y y-Z^cr-^ U^-j/^^ U'w^^ r<~<-)r^ wv-f-0 r^'Or^Ji nV'-'rv ^'^ '"^'^ r^'l'-'f^ r^Z'-'OX ■"\>^S :^ CHAPITRE II ENFIN rillustre et nombreuse compagnie s'embarqua à Constantinople, le 27 novembre 1437. Des diverses péripéties de cette longue traversée, nous mentionnerons seulement que Jean Paléologue, pour éviter de contour- ner le Péloponnèse, et aussi pour visiter les despotes, ses frères, et les exhorter à la concorde, se fit débarquer à Cenchrées : il traversa la péninsule à cheval et arriva à Pylos, où l'attendait son vaisseau. Sy'étant embarqué de nouveau, il poursuivit son voyage pour Venise, où il par- vint le 9 février 1488 et où on lui fit une très brillante ré- ception. Parmi les choses remarquables que purent admirer dans cette cité ces hôtes distingués, se trouvaient les œuvres d'art et tant 4'autres merveilles qu'avaient em- portées les Latins pendant qu'ils étaient les maîtres de Constantinople ; des sentiments de colère et de tristesse durent s'emparer des Byzantins dès qu'ils se trouvèrent dans ce pays avec les habitants duquel ils venaient se mettre d'accord. Sur ces entrefaites, le pape se bâta de Digitized by Google l8 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE proclamer solennellement que le nouveau concile devait se réunira Ferrare, le 8 janvier 1438. En réponse, celui de Bâle le déclara déchu du pontificat (8 février). Cependant les Grecs apprenaient à Venise que les pères du concile étaient en proie à des dissensions intestines, que plusieurs princes laïques, en particulier, ne voyaient pas d'un bon œil l'hostilité manifeste du concile envers le pape. Par con- tre, le Saint- Père et les princes italiens, en général, qui désiraient naturellement voir le concile se tenir dans leur propre pays, ne cessaient de tenter, de toutes les façons, d'attirer les Grecs à Ferrare. Nous ignorons si, dans Ten- tourage impérial, il y eut réellement quelque hésitation; mais, même s'ils s'étaient décidés à se rendre à Bâle, il est très probable qu'ils en auraient été empêchés par les Italiens, dont ils auraient eu à traverser le territoire. Supposons qu'ils eussent réussi à se rendre à Bâle; nous ne doutons pas que l'union s'y serait faite à des con- ditions plus larges, plus généreuses; mais, au point où en étaient arrivées les choses, il était fort douteux que les princes laïques eussent contribué à remplir les vœux des Grecs; il est presque certain que le pape serait parvenu à faire échouer toutes les chances de secours. Le concile de Bâle, bien qu'ayant, le 24 mars, déclaré illégale la réu- nion de Ferrare, bien qu'ayant encore longtemps siégé, (il ne se sépara qu'en mai 1449), ne put rien pour régler ou restreindre la suprématie papale. Les Grecs, reconnaissant cette impuissance, et toujours harcelés par les Italiens^ de plus, ne voulant et peut-être même ne pouvant retourner chez eux sans avoir rien essayé, résolurent de partir pour Ferrare. L'empereur quitta le premier Venise le 28 fé- vrier et fit son entrée à Ferrare, le 4 mars : le marquis de cette ville le reçut « avec de grands honneurs, ses fils Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS I9 « marchant à pied et portant un dais qu'ils tenaient au- « dessus de la tête de lempereur. C'est ainsi qu'il l'ac- « compagna au palais du pape, et qu'il le conduisit en- t suite à son palais >. Comme prétexte du retard dans le départ du patriarche, on mit en avant le manque de petits bateaux pour le conduire sur l'autre rive du Pô; toute- fois, les apprêts du bateau qui devait porter le patriar- che n'ayant pas été bien longs, — puisqu'il arriva le 7 mars, — tout autre devait être la vraie raison pour la- quelle l'empereur prit les devants. Jean Paléologue n'ignorait point que les deux chefs ecclésiastiques avaient des prétentions immodérées; c'est pourquoi j craignant que, dès la première entrevue, à cause de ces sentiments, il n'éclatât quelque dissentiment irréparable, il jugea prudent de se présenter le premier, dans l'espoir de préparer le terrain. Il a déjà été dit que le patriarche Joseph entreprit le voyage d'Italie pour né- gocier avec l'évêque de Rome sur le pied d'une entière égalité; et qu'après avoir atteint son but^ il espérait retour- ner à Constantinople, indépendant du pouvoir temporel. Aussi, quand il apprit que l'empereur l'avait devancé à Ferrare, exprima-t-il son mécontentement, en disant : « Ou il fallait que l'empereur et le patriarche vinssent en- « semble, ou le représentant de TEglise devait prendre t les devants : dans aucun cas il ne devait arriver après.» D'un autre côté, le pape ne prétendait rien moins que de se faire baiser le pied par le patriarche, à leur première entrevue. Il faut observer que, des deux princes tempo- rels et des deux prélats qui étaient arrivés les premiers à Ferrare, < les princes baisèrent le pied du pape et en re- « curent un accueil bienveillant; quant aux prélats qui ne « baisèrent pas son pied, ils furent reçus par lui t avec Digitized by Google 20 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE « beaucoup de froideur. » Nous devons cependant sup- poser que l'empereur qui arriva après eux, ne fut pas sou- rais à cet acte humiliant; du moins Syropulo n'en parle pas. Et le fait est que le patriarche, quand il appro- cha de la ville le 7 mars, refusa de quitter son bateau, avant qu'il ne fût tormellement réglé de quelle manière se ferait sa réception, le pape insistant pour le baisement du pied, et Tempereur Jean soutenant de toute sa force l'op- position du patriarche, Enfin, Eugène IV céda, en disant que t pour le bien de la paix et pour qu'il n'existât pas « d'obstacle à cette œuvre sainte, il sacrifiait son propre « droit. » Mais, bien que d'abord il eût eu Tintention de recevoir le chef de l'Eglise orientale en grande pompe, et au mi- lieu d'une foule de seigneurs, quand il eut fait cette con- cession, ne désirant pas la rendre publique pour la foule, il décida qu'il recevrait le patriarche en présence seulement des cardinaux, dans un appartement particulier qui, néanmoins, comme nous devons inférer de ce qui va sui- vre, était une vaste salle. Joseph acquiesça à ces modifi- cations, et, le 8 mars au matin, le patriarche et sa suite de prélats descendirent du bateau, montèrent à cheval et, sous la conduite du marquis, escortés de quatre cardi- naux, de vingt-cinq évêques et d'un grand nombre de nobles, se rendirent au palais habité par le pape. Le patriarche entra d'abord dans l'appartement avec six archevêques, ceux de Trébizonde, d'Ephèse, de Cyzique, de Sardes, de Nicée et de Nicomédie; le pape les re- çut et les embrassa debout. Après un court entretien, ils s'assirent tous; alors, entrèrent successivement, pour présenter leurs hommages, les autres dignitaires de l'Eglise orientale : le pape présenta à quelques-uns la Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 21 joue, à d'autres sa main droite à baiser. Durant tout cet intervalle, le Saint-Père était assis sur un trône élevé, ayant à sa droite les cardinaux occupant des sièges égaux entre eux et semblables au marche-pied du pape; à sa gauche, se tenait assis le patriarche sur un de ces sièges , et « auprès de lui se tenaient servilement » , ajoute Syropulo, les prélats éminents qui étaient entrés dès le commencement de la réception. En sorte que, si les prélats grecs avaient évité le baisement du pied, pour tout le reste ils étaient loin d'être admis à titre d'égaux venant visiter des égaux. Quand la cérémonie fut termi- née, le patriarche se retira, accompagné de sa suite et des prélats grecs, dans la maison qui lui avait été pré- parée ; le même jour, ils prirent tous part à un festin que le marquis de Ferrare donna en Thonneur de leur heureuse arrivée. Le lendemain qui était un dimanche, ils célébrèrent le service divin dans la maison du patriarche, et non dans une église, avec solennité toutefois, du consen- tement du pape, car les habitants les plus distingués de la ville et le marquis lui-même y assistèrent avec une grande piété, et reçurent le pain bénit {antidoron) des mains du patriarche. Quatre jours après, le pape exprima le désir de voir entamées les conférences concernant l'union ; il consentit pourtant à un petit délai, sur l'observation de l'empereur que le patriarche se trouvait malade des sui- tes de son pénible voyage. Entre temps, l'empereur rap- pela au pape qu'il n'était pas seulement question de réu- nir un concile, mais de négocier aussi avec les princes laïques, et qu'il serait bon, à cet effet, de les convoquer également à Ferrare. A cela, le pape répondit que cette affaire présentait des difficultés à cause des troubles civils qui régnaient en Italie, mais que néanmoins, dans les Digitized by Google 22 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE quatre mois suivants^ il prendrait dans ce but les mesures nécessaires. Jusqu'à ce moment, les rapports entre les Grecs et les Latins semblaient être en assez bonne voie ; peu après ap- parurent les dissentiments : d abord, au sujet de la pen- sion que les Latins avaient promis de payer à leurs hôtes d'Orient. Au commencement, il avait été question de la leur servir en nature, et ensuite on convint de la leur ac- corder en argent. Il fut donc arrêté qu'on compterait mensuellement : 3o ducats à Tempereur, 25 au patriar- che, 20 au despote, et aux autres de 3 à 4 ducats. Combien maigre et insuffisante était cette pension, on peut en juger par ce seul fait que le pape, environ vingt ans après, paya au despote Thomas qui, après la conquête du Pélopon- nèse par les Turcs, s'était réfugié en Italie, 3oo ducats par mois pour son unique entretien. Mais en cette circons- tance, son but était de dompter les Byzantins, même en les privant de l'argent indispensable pour leurs besoins journaliers, et de les obliger à terminer au plus tôt la question religieuse. C'est pourquoi probablement cette pension, si insuffisante qu'elle fut, n'était pas payée régulièrement, d'où il s'ensuivit des plaintes continuel- les de la part des Grecs. En effet, ceux-ci supportaient de dures privations, tous sans exception, et particu- lièrement les serviteurs de la suite de l'empereur et des prélats. Syropulo affirme que les « Janissaires de l'em- pereur » se virent réduits à vendre leurs armes et à mettre en gage leurs vêtements. Leur embarras devint tel que le grand protosyncelle, dont ils invoquèrent spécialement l'intervention, comme étant particulièrement dans les bon- nes grâces de l'empereur, après avoir deux ou trois fois parlé en vain à Jean Paléologue de cet état de choses, et Dhgitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 23 après avoir donné de sa bourse d'abord un ducat et quel- ques jours après un second, dut leur livrer ses manipu- les brodés d'or pour les vendre, afin qu'ils pussent se nourrir de leur prix. Ce fait suffit pour donner une idée de la situation lamentable des Grecs, et par suite, de la modicité de la pension et surtout de Tirrégularité à la payer. Nous devons également attirer l'attention sur le nom que Thistorien du concile de Florence donne aux gar- des du corps de l'empereur, qu'il appelle dçs « Janissai- res » . Dans aucun autre historien byzantin, nous n'avons rencontré ce nom, appliqué à un corps de troupes ap- partenant à la monarchie grecque. Cependant, pour qu'il soit employé par Syropulo, nous devons admettre qu'il était en usage et supposer que les derniers Paléologues , en entendant vanter la valeur des Janissaires ottomans, voulurent emprunter cette dénomination ; par malheur, elle ne suffisait point pour rendre les Janissaires de Constantinople dignes rivaux des vainqueurs de Cossovo et de Nicopolis. Une autre cause de mécontentement entre les Grecs et les Latins naquit de la réclamation très juste du patriarche d'avoir à sa disposition une des églises de Ferrare pour y célébrer la messe les jours fériés. Le pape répondit que cela ne dépendait pas de lui, mais de l'évêque de la cité : l'évêque dit, de son côté, que les grandes églises ne sauraient être enlevées aux nombreux fidèles qui y fai- saient habituellement leurs dévotions; quant aux plus petites, elles ne pouvaient satisfaire le patriarche : sous ces prétextes, on ne lui en céda aucune. Toutefois, la plus grave difficulté du moment était de régler la manière dont les deux Eglises se présenteraient au concile. Après de longs pourparlers, il fut enfin décidé com- Digitized by Google 24 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE ment et quand devaient se voir réunis les Grecs et les La- tins. Le 9 avril, les portes de la cathédrale de Ferrare s'ouvrirent : au milieu du sanctuaire on avait placé une table sur laquelle étaient déposés les saints Evangiles; les Latins y entrèrent d'abord et se rangèrent dans Tordre suivant : à droite du sanctuaire, Eugène IV prit place sur un trône surmonté d'un dais, et plus élevé que tous les autres sièges ; un peu plus bas, se trouvait un trône moins élevé, destiné à l'empereur d'Allemagne, et resté inoccupé; ensuite s'assirent sur des sièges les cardinaux, les arche- vêques, les abbés, les docteurs, les simples clercs, puis les quelques représentants présents de divers souverains, les princes, ducs, marquis et plusieurs gentilshommes la- tins. Lorsque le service divin eut été célébré en latin, l'empereur d'Orient et tous les membres de TEglise grec- que entrèrent pendant que se tenaient debout les Latins. Les Grecs qui avaient aussi, dans cet intervalle, terminé leur service divin, s'avancèrent en se rangeant à gauche du sanctuaire comme ci-après : vis-à-vis du trône impé- rial, destiné à l'empereur d'Allemagne, Jean VIII prit place sur un trône sans dais; sur un autre, plus petit, s'assit le frère de l'empereur, le despote Démétrius; devant l'empereur se tinrent les envoyés de l'empereur de Tré- bizonde, du grand-duc de Moscovie, des princes de Géor- gie, de Serbie, de Valachie, les courtisans, les sénateurs et les savants. Auprès du trône de l'empereur, il y en avait un autre, moins élevé, pour le patriarche Joseph qui ne put cependant pas assister à la cérémonie, empêché par la maladie. Autour du trône du patriarche, se tenaient debout ses cinq diacres, et, sur des sièges plus bas, s'as- sirent les représentants des trois patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, ensuite les archevêques et Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 25 évêques, enfin les dignitaires de TEglise de Constanti- nople, les archimandrites, les prêtres, les moines du mont Athos, etc. Par cet exposé, on voit que les Byzantins eurent encore un rôle secondaire, et surtout que le rêve du patriarche d'obtenir Tégalité d'honneurs avec le pape, et, en même temps, une situation indépendante envers son propre sou- verain, ne se réalisa nullement : en effet, tandis que le trône de l'empereur, par sa position et son élévation, était un peu intérieur à celui du pape, celui du patriarche était encore inférieur même à celui de l'empereur. Ce qui fut plus triste en outre, c'est que divers prélats, parmi les Byzantins, se disputèrent entre eux au sujet du rang qu'ils devaient occuper, et, dans leur indignation pour la place qui leur fut assignée, causèrent de nombreux scandales. Quoi qu'il en soit, le concile s'étant formé, comme nous venons de l'exposer, on lut le décret du pape qui en pro- clamait l'ouverture, et où il était dit que, du consentement formel de l'empereur, du patriarche de Constantinople et de tous les pères se trouvant à Ferrare, le concile, ou- vert en cette ville, était déclaré réuni dans le but d'amener l'entente des deux Eglises. Entre autres choses, ce décret disait : « Nous fixons un terme, de ce jour à quatre mois, € à partir d'aujourd'hui, à tous les pays et à tous les « royaumes chrétiens pour qu'ils viennent tous, et les « autres du concile de Bâle, et ceux de Rome et tout « chrétien ; que celui qui le veut arrive avant l'expiration « du terme fixé ; et que celui qui méprisera ce saint con- « cile et ne viendra pas dans le terme convenu, soit « anathème, s'il n'accepte pas ce concile régulièrement « convoqué. » Néanmoins, les quatre mois, et ensuite deux autres qu'on dut accorder pour enlever tout prétexte aux Digitized by Google 20 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE retardataires, s'écoulèrent sans que personne répondît à la convocation. Les rois de France, de Castille, de Por- tugal, de Navarre, le duc de Milan et les princes d'Alle- magne s'efforcèrent en vain de réconcilier le pape Eugène avec les pères du concile de Bâie. Ces derniers cependant continuaient à tenir leurs séances séparément; à Fer- rare, les princes et les envoyés des princes d'Occident étaient toujours en fort petit nombre, ce qui affligeait grandement l'empereur ; de plus en plus il acquérait la triste conviction qu'il n'avait pas beaucoup à espérer des secours de quelque importance, malgré la démarche à laquelle il s'était soumis; et, pour se distraire de ses som- bres pensées, il passa, pendant ces six mois, presque tout son temps à des parties de chasse. Les théologiens se préparaient aux discussions des qua- tre articles principaux sur lesquels étaient divisées les deux Eglises, c'est-à-dire : 1° Sur l'adjonction, faite au Credo par les Latins, des mots « Jilioque > ; 2° sur la nature des peines du purgatoire et sur l'état des âmes avant la seconde apparition du Christ; 3"* sur l'usage du pain azyme dans la célébration de la messe; 4^ et surtout sur la suprématie du pape. Le 8 octobre eut lieu la deuxième séance du concile, depuis l'arrivée des Grecs, dans une chapelle, près du palais occupé par le pape, et dans le même ordre qui avait été réglé la première fois. La seule différence fut qu'au milieu et entre les rangs des représentants des deux Eglises, prirent place sur deux bancs, placés vis -à- vis l'un de l'autre, six théologiens grecs et six latins, chargés de discuter et de traiter les questions sus-énoncées. Au mi- lieu d'eux se tenait leur commun interprète, Nicolas Se- condino, originaire de l'Eubée. Cette séance fut suivie de Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 2J treize autres, dont la dernière fut tenue le 8 décembre 1438. Toutes les questions que nous venons de mentionner n'avaient certainement pas une égale importance; les plus sérieuses étaient laddition du filioque au symbole de Ni- cée et la suprématie papale. Mais quoique, sur la première de ces questions, on discutât indéfiniment des deux côtés, au bout de Tannée on n'était encore arrivé à aucun résul- tat; à cette époque, éclata une épidémie dangereuse à Fer- rare, et Ton dut transporter le concile à Florence. Là, en février 1439, on reprit la session, et ainsi con- tinuèrent les débats sur ce sujet épineux. Le patriarche n'assista à aucune de ces séances, à cause de la persistance de sa maladie ; il participait toutefois à la plupart des dé- libérations particulières, à celles spécialement qui devaient régler la solution des questions. Dans ces délibérations, Jean Paléologue, qui, par tous les moyens, cherchait à hâter Tunion, avait un rôle prépondérant, et conservait toujours l'espoir que ce but une fois atteint, n'importe de quelle manière, il obtiendrait l'assistance de l'Europe. Il faut également noter ce fait étrange que le patriarche qui, de son côté, avait d'abord opposé tant de difficultés con- cernant les formes extérieures de parfaite égalité avec le pape, se montra fort accommodant quant au fond des choses. En conséquence, grâce à l'action commune de Tempereur et du patriarche, les Byzantins arrivèrent en- fin, et à la majorité des voix, à cette conclusion touchant la procession du Saint-Esprit : « Après avoir entendu les « citations des saints pères, orientaux et occidentaux, « les uns disant que le Saint-Esprit procède du Père et du « Fils, et d'autres du Père par le Fils, bien que < par « le Fils * soit la même chose que « du Fils », et que Digitized by Google 28 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE « du Fils » soit égal à « par le Fils » ; nous, cependant, « laissant le « du Fils, » nous disons que TEsprit-Saint « procède du Père par le Fils, de toute éternité et, en « substance, comme d'un même principe et cause, la « préposition « par » (8ia) indiquant ici « la cause » au « sujet de la procession du Saint-Esprit. » Nous devons le répéter, cette déclaration ne fut acceptée qu'à la pluralité des voix : treize prélats y accédèrent; les ambassadeurs de TEpire et de Moldavie déclarèrent égale- ment qu'ils étaient prêts à suivre en cette matière leur mère, l'Eglise de Constantinople. Mais les évêques d'Hé- raclée, Monembasie, Anchialos, Trébizonde, Ephèse, les représentants de Géorgie résistèrent résolument à ce compromis. Nonobstant cela , l'empereur s'occupa , sans nulle hésitation, à résoudre aussi les autres ques- tions, ayant toujours pour collaborateur décidé le patriar- che Joseph qui mourut peu après. Mais celui-ci déclara, avant de mourir, que c tout ce que pense et décrète TE- « glise de l'ancienne Rome, moi-même je le pense et de- « meure d'accord sur tout avec elle. » — En faisant cette déclaration, prononcée par des lèvres qui allaient se fer- mer pour toujours, il expira et fut enseveli en grande pompe dans l'église de Santa-Maria-Novella, où, encore aujourd'hui, existe son tombeau ainsi que son image gra- vée sur la pierre tombale; on peut facilement les recon- naître parmi toutes les autres figures que contient ce temple, à cause de la tête expressive et vénérable et des caractères tout particuliers du visage qui présentent bien le type oriental *• I. Joseph II monta sur le trône patriarcal en 1 416, et mourut à Florence le 9 juin 1439. Son tombeau porte Tépitaphe suivante : Eccleâi» Antiâtcs fucram qui magnus Eoae, Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 29 Sur les autres sujets qui furent discutés après la mort du patriarche, quant à F usage du pain avec ou sans le- vain, on resta d accord d'en laisser indifféremment le choix à chaque Eglise qui continuerait à célébrer la messe suivant ses habitudes. Il n'y eut pas non plus de sérieu- ses difficultés sur la question du Purgatoire, puisque même Tévêque d'Ephèse dit, suivant Syropulo : « Je trouve de € peu d'importance la différence qui nous sépare sur ce « point. » — Mais , au sujet de la puissance papale , éclata une violente dispute : les partisans du pape exi- geaient que les Byzantins reconnussent explicitement Té- vêque de Rome comme successeur de Pierre et vicaire du Christ, comme jugeant et gouvernant l'Eglise universelle, dont il est le guide suprême et le pasteur* Les Grecs ne s'opposaient pas à ces assertions, mais insistaient pour faire ajouter à cette déclaration la phrase suivante : « D'a- « près les canons et les décisions des conciles, » et, en ou- tre : « tout en sauvegardant les prérogatives et les droits « des patriarches d'Orient. » — II va sans dire que ces restrictions ne convenaient nullement aux Latins; il en résulta des querelles longues et acharnées entre les deux partis, à tel point que Jean Paléologue menaça, à plusieurs reprises, de rompre la conférence pour s'en retourner chez lui. L'empereur qui se montra si facile sur la question de la procession du Saint-Esprit, insista avec la plus grande Hic jaceo magnus rclligione Joseph. Hoc unum optabam miro inflammatus amore, Unus ut Europae cultus et una fides. Italiam petii, pcctus percussimus unum ; Junctaque Romanae est, me duce, Graia fidcs. Nec mora, decubni ; nunc me Florentia servat, Quâ tune concilium floruit urbe sacrum, Félix, qui tanto donarer munere vivens. Qui niorerer voti compos et ipse mei. Digitized by Google 30 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE énergie pour conserver les privilèges de TEglise orientale, car il comprenait bien qu'il était impossible de sacrifier ces privilèges du consentement de ses membres. Les Latins alors sentirent la nécessité de faire, de leur côté, une légère concession,c'est-à-dire d'admettre les restrictions proposées par les Grecs; mais ils ne cédèrent qu'après avoir reconnu au pape de si grands droits que ces restrictions deve- naient nulles devant la puissance sans limites du pape. . En conséquence, il fut convenu, d'un commun accord, que le Saint-Siège apostolique et le pape de Rome conti- nueraient d'avoir la première place et tout pouvoir sur l'univers entier, que le pape de Rome était le successeur du prince des apôtres, Pierre, le vrai représentant du Christ, la tête de tout^ TEglise, le père et le maître de tous les chrétiens; qu'à lui avait été transmis par le Seigneur, et par l'entremise de saint Pierre, le plein pouvoir de con- duire, gouverner et diriger l'Eglise universelle de la ma- nière dont parlent les actes des conciles œcuméniques et les saints canons. En même temps, on reconnut de nou- veau le rang des autres patriarches, suivant la tradition des canons, d'après laquelle le patriarche de Constantino- ple vient immédiatement après l'évêque de Rome -, puis les patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, qui gardaient tous leurs anciens droits et prérogatives *. Après ce triomphe, le pape Eugène IV avait raison de s'écrier dans l'excès de sa joie : « Ego nescissem plura a I. Voici, de nos jours, Tordre hiérarchique des Eglises du rite orthodoxe : 1* le patriarche œcuménique de Constantinople; 2' le patriarche d'Alexandrie; 3» celui d'Antioche; 4' celui de Jérusalem; 5» Tarchevêque de Cypre; 6* le Saint- Synode de l'empire de Russie; 7» le Saint-Synode du royaume de Grèce; 8« le Saint-Synode du royaume de Roumanie, etc. Chacune de ces Eglises est entière- ment indépendante, tout en professant les mêmes dogmes, car l'Eglise catholi- que et apostolique d'Orient ne reconnaît que Jésus-Christ pour son chef. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 3l Grœcîs peiere^ quia quœ qucesivimus et petivimus habuù mus. > Toutefois, par la signature de cette fameuse décla- ration, les Latins parvinrent-ils à obtenir la victoire qu'ils poursuivaient avec tant de passion? S'il est vrai que la première partie de la déclaration proclamait le pape maî- tre souverain de toute TEglise, il n'en est pas moins vrai aussi que, dans la seconde partie, ce pouvoir sans limites se trouvait sensiblement restreint, puisque, pour spécifier plus clairement les droits du pape, on se référait aux dé- crets et aux procès-verbaux des conciles et aux saints ca- nons- Il est vrai que la déclaration, après Ténumération des immenses prérogatives du pape, en mentionnant « qu'elles devaient. s'entendre suivant la manière et les « décisions des conciles et l'exposé des saints canons, » paraissait reconnaître l'omnipotence papale. Cependant, comme il est indiscutable que les canons de l'Eglise et les conciles n'ont jamais reconnu cette puissance illimitée, la question resta toujours dépendante du sens qu'on donne aux décrets des conciles et aux canons, et tout au moins aux décrets des sept premiers conciles œcuméniques et des canons en vigueur dans l'Eglise d'Orient, interpréta- tion qui, faite sincèrement, ne pourrait jamais aider ni soutenir les prétentions arrogantes du pape *. De plus, la déclaration reconnaissait formellement le maintien de tous les droits et prérogatives des autres patriarches; mais ces droits et ces prérogatives, tels quïls existaient à cette époque, ne concordaient d'aucune façon avec l'omnipo- I. Les sept conciles œcuméniques qui ont réglé les dogmes de TEglise d'O* rient sont les suivants : i» celui tenu à Nicée» en Tannée 323; 2» celui de Cons-^ tantinople, en 38i ; 3^ celui d'Ephèse, en 43o; 40 celui de Chalcédoine. en 461 ; 50 celui de Constantinople, en b33; 6° celui de Constantinople, en 681 ; 70 en- fin, celui de Nicée, en 789. Les autres sont considérés comme conciles locaux. Digitized by Google 32 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE tence et la suprématie universelle que s'arrogeait Tévêque de Rome. La déclaration, par conséquent^ n'était pas une solution, c'était un simple compromis entre les deux par- tis, compromis dont toute la valeur dépendait de telle ou telle interprétation et application qu'on voudrait lui don- ner. D'un autre côté, il n en était pas moins évident que, sur tout le reste, TEglise grecque fit toutes les concessions possibles; et, de plus, les Byzantins craignaient que l'em- pereur et plusieurs prélats, pressés d'obtenir la protection efficace du pape, ne fussent disposés à interpréter et à ap- pliquer la question de la puissance papale en sa faveur et au détriment de TEglise orientale. De tout cet exposé, on peut bien comprendre comment quelques-uns dès le premier moment, et, un peu plus tard, presque tous considérèrent cet événement comme une trahison et se révoltèrent contre l'union ainsi faite, parce qu'elle sacrifiait non seulement les dogmes, mais même l'autonomie et l'indépendance de l'Eglise d'Orient. Quoi qu'il en soit, les conditions de l'union, écrites sur une moitié du parchemin en latin et sur l'autre moitié en grec, furent signées par les Grecs le 5 juillet 1439; à cet effet, ils furent tous réunis au palais habité par l'empe- reur qui les signa le premier. La place, où le défunt pa- triarche œcuménique devait apposer son nom, resta vide; puis vinrent les signatures des représentants des trois au- tres patriarches, de quatorze archevêques et de douze clercs, parmi lesquelles celle du grand ecclésiarque Syl- vestre Syropulo. Le métropolitain d'Héraclée pensa qu'il pourrait éviter de donner sa signature, en prétextant une maladie; mais on le força à signer dans son lit. — Une seule signature fit défaut jusqu'à la fin. Quand le pape, après y avoir apposé la sienne, demanda si Marc d'Ephèse Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 33 l'avait signée et qu'on lui eut répondu négativement, il dit : « Alors, nous n avons rien fait. » — Après le pape, signèrent huit cardinaux, soixante-un évêques et quarante- six autres membres de TEglise latine, abbés pour la plu- part. On fit du traité quatre copies identiques dont Tune se trouve encore appendue dans une des salles de la Bibliothèque Laurentienne de Florence, où tout Grec peut aller lire les noms écrits de la propre main de ces hommes qui n'hésitèrent pas à assumer une si terri- ble et, en même temps, si inutile responsabilité. — C'est ainsi que fut conclue cette union si fameuse. Quels furent les avantages réels et pratiques que l'empereur Jean Pa- léologue et les Grecs de son entourage tirèrent des sacri- fices auxquels ils durent se soumettre? — Ils reçurent leurs frais de voyage pour leur retour, et, en outre, trois cents hommes de guerre, dont l'entretien était à la charge du pape, sa vie durant, plus deux galères. Nous ne nions pas que le Saint-Père promettait encore à Paléologue de lui fournir vingt gros vaisseaux de guerre pendant six mois, ou dix seulement pendant une année, et de faire tout son possible pour entraîner les rois de l'Europe à se- courir par terre Constantinople contre les Turcs. Mais ce n'étaient là que de vaines paroles; et il faut convenir que si le pape chercha à tenir ses promesses, il n'y parvint que pour une très faible partie. De sorte que, amère déri- sion, toute la récompense immédiate que reçut l'hellé- nisme pour ce sacrifice de ses dogmes séculaires et de ses droits, se borna à obtenir le secours de trois cents hommes et de deux galères! Qu'y a-t-il d'étonnant, en consé-^ quence, lorsque l'empereur avec sa suite revint à Cons- tantinople, le 1*' février 1440, — après une absence qui avait duré plus de deux ans, — si la plupart s'étaient Digitized by Google 34 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE déjà repentis de ce qu'ils avaient fait et commençaient à maudire publiquement leur propre conduite? « Les pré- « lats, dès qu'ils débarquèrent de leurs vaisseaux, selon « Ducas, furent entourés et embrassés, suivant l'usage, » par ceux qui étaient restés à Constantinople. A leurs « demandes: « Comment vont les affaires ? Quoi de nou- '< veau touchant le concile? Y avons-nous eu le des- « sus? » ils répondaient : « Nous avons vendu notre foi, « nous avons échangé l'impiété contre la vraie foi, nous « avons trahi le pur sacrifice, nous sommes devenus des « azymites. ■ — Ils tenaient même des discours plus tris- « tes et plus honteux. Et quels étaient ceux qui parlaient « ainsi? Ceux-là même qui avaient signé le traité d'u- « nion, Antoine d'Héraclée et les autres évéques. Et si « quelqu'un leur disait : « Et pourquoi avez-vous si- « gné? » — ils répondaient : « Par crainte des Francs. » « De nouveau, on leur demandait : « Mais les Francs « ont-ils torturé, battu de verges ou mis en prison quel- ce qu un de vous? » — « Non !» — « Eh bien! alors? » — « « Cette main droite a signé, répondaient-ils, qu'elle soit « coupée ; la langue a prononcé la déclaration, qu'elle soit « arrachée. » — Us n'avaient rien autre à répondre, car « il se trouvait des prélats qui, au moment d'apposer leur « signature, avaient dit : « Nous ne signerons pas si vous « ne nous donnez point ce qui nous est nécessaire pour •» que nous retournions chez nous. » — Alors on les payait p et ils trempaient la plume pour signer. Considérables « étaient les sommes qui avaient été dépensées pour eux, « aussi bien que celles qui avaient été comptées en mains « propres à chacun des pères; mais, malgré leur repen- « tir, ils ne rendirent pas l'argent. » Dans ce tableau tracé par Ducas, il y a certainement de Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 35 Texagération. Le pape ne possédait pas de grands trésors à sa disposition au moment du concile. Nous savons à quel point était insuffisante la pension allouée à l'empe- reur et au patriarche ; nous savons de plus qu'à la fin du concile, cinq mois entiers de cette misérable pension res- taient encore impayés. Nous croyons donc plutôt que quelques Byzantins refusèrent de signer avant de rece- voir ce qui leur était dû légitimement. C'est de cela peut- être que naquit le bruit qu'ils avaient été gagnés à prix d'argent, bruit répété même par Syropulo. Les représentants de l'Eglise orientale se divisèrent en deux camps opposés au concile de Florence : dans l'un, on ne voulait entendre parler d'aucune concession ; l'au- tre était disposé à subir des concessions, espérant ainsi s'assurer l'assistance de l'Occident contre les Turcs, de- venus de jour en jour plus menaçants. A la tête du premier parti, se trouvaient Marc d'E- phèse, qui refusa jusqu'au bout de signer le tome, et Antoine d'Héraclée, qui chercha d'abord à éviter de signer, mais qui, à la fin, comme il a été dit, dut signer. Les chefs de l'autre parti étaient, outre l'empereur, l'ar- chevêque Bessarion de Nicée, Isidore de Kieff et Geor- ges Scholarius. Cependant, parmi ces trois personnages, il faut faire une distinction entre les deux premiers et le troisième : Bessarion, originaire de Trébizonde, a été un des hommes les plus savants de son temps; Isidore était originaire du Péloponnèse, et se distingua plus tard dans la lutte suprême du dernier siège de Constantinople. Mais tous deux, voyant clairement que l'Occident ne fai- sait aucun effort sérieux pour sauver le christianisme agonisant en Orient, ne persistèrent pas moins à sacrifier l'indépendance de leur Eglise; en récompense, ils reçu- Digitized by Google 36 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE rent du pape le chapeau de cardinal, et ensuite, ayant ob- tenu successivement le titre purement honorifique de patriarches de Constantinople, terminèrent paisiblement leurs jours en Italie. Combien peu grecs s'étaient conservés les sentiments et les idées de Bessarion en particulier! On en a une preuve éclatante dans la lettre qu'il adressa de Rome en 1465, signée c cardinal et patriarche de Constantinople •, au précepteur des enfants du despote Thomas, réfugiés alors à Ancône. Cette lettre nous a été conservée dans la chronique de Georges Phranzès, remarquable à plu- sieurs points de vue; elle est une preuve vivante qu'une nation en décadence perd tout sentiment élevé, et que le langage même se ressent de cet abaissement. — Elle est écrite, nous en sommes convaincu, dans la langue usitée alors par les hommes du monde, ayant reçu de Tinstruc- tion, et pour cela, c'est un document curieux pour ceux qui s'occupent d'études philologiques. — Elle n'est pas moins digne d'attention sous un autre rapport, car, dans les conseils qu'il donne pour l'éducation de ces enfants infortunés, on voit qu'il n'a plus même la conscience d'avoir perdu toute trace d'hellénisme *. La conduite de Georges Scholarius fut bien différente : celui-ci égaie- I. Nous croyons devoir traduire quelques passages de cette curieuse lettre adressée au précepteur des entants du despote Thomas Pailéologue, frère du dernier empereur : a II est nécessaire que les enfants vivent suivant leS mœurs « latines; avec feu leur père, le despote, nous nous sommes souvent entretenus tt de ce sujets et il avait l'intention de les vêtir et de les faire vivre entièrement à tt lafranque^ c'est-à-dire de les faire aller à l'église tout comme font les Latins, u et non autrement; de les habiller comme les Latins; de leur apprendre à se tt mettre à genoux devant leurs supérieurs : le pape, les cardinaux et les autres tt grands personnages... Quand ils entrent dans une église latine, ils doivent s'a- « genouiller et prier de la même façon que les Latins...» La lettre continue long- temps sur ce ton l . Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 87 ment pensa que le salut de TEtat était par lui-même une raison assez puissante pour rechercher Tunion; mais aus- sitôt qu'il se fut aperçu que TEurope ne pouvait ou ne voulait pas repousser les Turcs, il déclara sans nulle hé- sitation qu'il défendrait la liberté de son Eglise. Monté sur le trône pontifical en un moment extrêmement diffi- cile, il se montra toujours défenseur résolu de ses droits; et l'historien Pichler a démontré d'une manière irréfuta- ble que l'œuvre attribuée à Scholarius pour soutenir les divers chapitres du tome de l'union ne lui appartient pas, et est plutôt sortie de la plume de Bessarion. Jean Paléologue, lui-même, n'osa point, à son retour dans la capitale, publier officiellement le tome de l'union. Il fit, à la place du patriarche décédé, proclamer Mé- trophane, qui était archevêque de Cyzique, et il travail- lait, par l'entremise de celui-ci et par ses adhérents, à faire agréer les modifications nouvelles en Orient : ce fut peine perdue. — Les trois autres patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, ainsi que le métropolitain de César ée, publièrent une lettre synodale, en 1443, par la- quelle ils condamnaient le concile de « brigands » tenu à Florence, et déclaraient le patriarche Métrophane « assas- sin de sa mère (l'Eglise) et hérétique ». Ils le déposèrent; et, en cas de désobéissance, iJs excommunièrent tous ceux qu'il avait ordonnés, et chargèrent de l'exécution de ces décrets le métropolitain de Césarée. Dans une nouvelle lettre,, ils menacèrent de l'excommunication l'empereur lui-même, s'il s'obstinait à soutenir Métrophane et à obéir au pape. Dans sa propre famille, l'accord n'exis- tait pas, et plusieurs de ses proches n'admettaient pas l'union ; en particulier, son frère Démétrius qui l'avait cependant accompagné dans son voyage et avait assisté Digitized by Google 38 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE aux conciles de Ferrare et de Florence; mais qui, à son retour à Constantinople, se mit à la tête des mécontents et osa même invoquer l'assistance des Turcs ; ceux-ci, heu- reusement, en ce temps, avaient toute leur attention oc- cupée ailleurs. Nous ne saurions ni assez admirer ni assez louer de toute la force de notre conscience les sentiments dont fi- rent preuve la noblesse et le clergé de Byzance pour pro- tester et résister contre de pareilles bases d'union. Ces hommes qui voyaient le fer du Turc levé sur leur tête, (et, en effet, la plupart d'entre eux devaient, quel- ques années après, en tomber victimes), aimèrent mieux se voir abandonnés seuls au sort évident qui les atten- dait, plutôt que d'acheter l'assistance de l'Occident, en sa- crifiant leur conscience et les plus nobles sentiments de l'homme. En réfléchissant à la tournure qu'auraient très probable- ment prise les événements si Jean Paléologue et la cour de Byzance avaient plus sainement apprécié la question et les circonstances du moment, on est saisi d'une immense tristesse. Si l'empereur Jean VIII avait eu assez de dis- cernement pour embrasser, dès le principe, le parti du concile de Bâle, les Grecs auraient porté un coup mor- tel aux prétentions de la domination papale; ils auraient servi du moins les véritables intérêts du monde et de leur patrie même. En se rangeant du côté sage et libéral du concile qui voulait imposer à l'Eglise des réformes reconnues indispensables, ils auraient débarrassé l'Orient et l'Occident du cauchemar qui pèse jusqu'à nos jours sur les consciences \ Il était hors de doute qu'en récom- I. Dans les premiers siècles de son existence, on sait que TEglise chrétienne Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS Sq pense d'un pareil secours^ les pères du concile auraient accepté les conditions qu'auraient proposées les prélats byzantins pour arriver à une union loyale et sincère des deux Eglises, et nul doute qu'elles eussent été honorables pour TEglise d'Orient. Il est possible que^ même en ce cas, Constantinople n'eût pu être sauvée et que ses jours fussent fatalement comptés; l'union, cependant, n'aurait pas été faite comme elle a été réglée à Florence ; c'est là ce qui a perpétué la scission et approfondi l'abîme d'antipathies et de haines qui ont depuis séparé rOrient et l'Occident. Il faut croire, au contraire, qu'on aurait rétabli les anciens et bons rapports d'a- mitié et de considération réciproque, qui avaient long- temps existé avant la séparation des deux Eglises. Les Byzantins, succombant quelques années après sous l'invasion musulmane, ne seraient pas restés, durant de longs siècles, abandonnés par l'Occident et regardés comme des schismatiques dignes de leur malheureux sort. Par contre, la réforme de TEglise romaine, conduite avec sagesse et prudence par les conciles qui devaient périodi- quement se réunir d'après. la décision du concile de Cons- tance, aurait prévenu l'œuvre passionnée et violente de Luther et de Calvin, empêché le nouveau déchirement de l'Eglise chrétienne, les guerres de religion, auxquelles furent dus, pendant des siècles, les désastres sans nom qui pour longtemps enrayèrent le progrès chez, les na- tions de l'Europe, et facilitèrent les succès et les conquêtes des Ottomans. Depuis longtemps déjà, les Turcs auraient était instituée en république, et que, dans le seul but d'arriver à la domination universelle, le papisme amena et consomma le déchirement de l'Eglise du ChriRt. Par son ambition orgueilleuse, il a toujours été un principe de trouble et de dés- organisation. Digitized by Google 40 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE cessé de souiller de leur présence le berceau de la civili- sation; depuis longtemps les chrétiens de TOrient se se- raient trouvés libres; depuis longtemps Orientaux et Occi- dentaux ne formeraient qu'un seul troupeau sous un seul pasteur^ et pourraient célébrer en commun leur culte dans ce temple magnifique de la Divine Sagesse. Pendant la sombre période du moyen-âge, papes, rois, empereurs, seigneurs féodaux, se ruèrent à lenvi sur l'em- pire grec pour le détruire ; et cependant Thellénisme était encore une fois le facteur nécessaire, destiné à compléter et à perfectionner la civilisation de l'Europe qui alors seu- lement trouva son idéale vainement cherché pendant des siècles, et qu'elle n'avait pu rencontrer ni dans la papauté, ni dans l'empire, ni dans la féodalité. Mais il fallait d'a- bord que le fruit tombât à terre, et que l'enveloppe se fendît pour que la graine de vie qui y était contenue pût se répandre sur tout l'Occident et produire la renaissance du monde. Digitized by Google CHAPITRE III LA position du malheureux empereur Jean Paiéolo- gue, après son retour du concile de Florence _, était lamentable : d'un côté, il cherchait à conserver les bonnes grâces du sultan Mourad II, de l'autre il était en pourparlers avec Jean Hunyade et son frère Constan- tin, despote du Péloponnèse; et dans le même temps qu'il tâchait de s'attirer les faveurs du Pape, en faisant tous ses efforts pour rendre réelle l'union des deux Eglises, il voyait clairement que cette union était impos- sible, à cause de la violente opposition qu'il rencontrait dans la majeure partie du clergé et du peuple. Les dé- faites subies par les chrétiens à Varna et à Corinthe avaient augmenté son découragement ; la nouvelle de la catastrophe de Cossovo abrégea sa vie ; de même que, quelque temps après, l'échec qu'éprouva le sultan Mou- rad devant Croja, amena sa fin subite. Jean Paléologue mourut le 3i octobre 1448, à l'âge de cinquante-huit ans, après en avoir régné plus de vingt- trois. Il ne laissa pas d'héritier direct, mais seulement Digitized by Google 42 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE trois frères, Constantin, Démétrius et Thomas. Le pre- mier et le troisième gouvernaient le Péloponnèse; le second, Démétrius, était gouverneur de Sélyvrie. Comme il se trouvait près de la capitale, il chercha à s'emparer du pouvoir, par la raison assez surannée qu'il était porphyrogénète, c'est-à-dire né pendant le règne de leur père. Mais Constantin lui fut préféré, heureusement, pouvons-nous dire, parce que, si nous devons juger Démétrius par la lâche conduite qu'il tint plus tard, nous affirmerons sans crainte que, sous son autorité, les chré- tiens de r Orient eussent été privés de cette consolation suprême de voir du moins leur indépendance succomber avec honneur. Le choix de Constantin ayant été agréé par Mourad, (l'empire grec était alors, pour ainsi dire^ à la merci du sultan), le nouvel empereur quitta ses Etats du Pélopon- nèse et se rendit à Constantinople au mois de mars 1449, prenant les rênes du gouvernement deux ans environ avant l'élévation au trône de Mahomet IL II ceignit la couronne d'épines de Byzance, et se trouva dans la situa- tion d'un officier qui, obligé d'obéir, accepte le comman- dement d'une place dépourvue de fortifications, des troupes nécessaires, et assiégée de toutes parts par l'en- nemi victorieux : l'élévation de Constantin fut un mar- tyre imposé par la fortune. Toutefois, il nous paraît que, dans les premiers temps de son règne, sachant que Mourad II était peu disposé à courir au devant de nouvelles aventures, il ne crut point la crise imminente. On le voit poursuivre des pourparlers touchant son nouveau mariage, entamés pendant qu'il était encore despote au Péloponnèse. Devenu veuf pour la seconde fois en 1442, il avait envoyé à Constantinople, Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 43 cinq ans après, son fidèle ami et ministre, Georges Phranzès, avec mission de lui choisir une épouse parmi les princesses de Trébizonde ou dlbérie. Deux ans après que Constantin fut monté sur le trône, le doge de Venise, Francesco Foscari, lui fit offrir sa fille ; ce mariage n'a- gréa point à la noblesse. Phranzès, en octobre 1449, se rendit à Trébizonde et de là en Géorgie, à la recherche d'une épouse de sang royal. Dans cet intervalle, Mourad étant mort, on proposa à Constantin sa veuve Marie, fille du roi de Serbie, qui était restée chrétienne. Phranzès, dans ses lettres, recommandait cette union qui d'ail- leurs n aboutit point. Enfin, en septembre 145 1, l'empe- reur donna la préférence à la fille du roi dlbérie. D'un autre fait nous pouvons inférer que Constantin ne se considérait pas, dès le commencement, comme maître assuré du pouvoir, car il ne célébra jamais son couronne- ment officiel. Quoi qu'il en soit, jusqu'au moment où Mahomet II commença les hostilités, l'empereur ne paraît pas s'être occupé de se préparer à la lutte suprême. Mais en vérité, que pouvait-il faire? Ce qu'on appelait alors l'empire romain se bornait en réalité à la seule ville de Constantinople. Il possédait bien, près de la Propontide (mer de Marmara), Sélyvrie et ses environs, Périnthe et quelques châteaux ; au nord, sur la mer Noire, les villes de Mésembria, d'Anchialos et de Bizon (aujourd'hui Ca- varna). Mais tous ces points, à l'exception de Sélyvrie, ne pouvaient opposer la moindre résistance à l'attaque des Turcs; toute la campagne autour de ces villes était déjà tombée en leur pouvoir, ou pouvait être occupée par eux dès qu'ils le voudraient. Galata était aux mains des Gé- nois, qui, loin d'être des alliés sincères, se montraient, en toute occasion, disposés à s'entendre avec les ennemis de la Digitized by Google 44 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE ville ; les quelques petites îles de la mer Egée et le Pélo- ponnèse, qu'on prétendait encore soumis au gouverne- ment de Constantinople, se trouvaient en un tel état de désordre matériel et moral, que Constantin n'en pouvait attendre aucune sorte d'assistance. La meilleure partie de ces possessions, le Péloponnèse, gouverné par ses frères Démétrius et Thomas, était déchiré par les discordes de ces princes, au point que le premier n'hésita pas à invoquer la protection des Turcs ; en outre, les Al- banais y étaient continuellement en révolte. Constantinople qui, naguère, sous la dynastie Macé- donienne encore et même sous les Comnènes, pouvait par ses seules ressources, par ses immenses richesses sur- tout, compter autant que tout le reste de Tempire réunie était, vers le milieu du xv" siècle, dans une extrême déca- dence. Elle ne possédait guère plus de quatre-vingt à cent mille habitants, après en avoir compté au moins cinq cent mille. Tandis qu'autrefois le trésor impérial encaissait de la ville seule 124 millions de francs, somme qui équivau- drait aujourd'hui à près de 600 millions, les revenus s'é- taient abaissés, sous les derniers Paléologues, à la somme de cinquante à soixante mille ducats, soit environ à 3 mil- lions de notre monnaie. Telle était la pénurie du trésor public à l'arrivée du nouvel empereur, qu'il fut obligé d'emprunter la somme nécessaire pour faire les largesses habituelles aux soldats et aux geos de la cour. Jadis des flottes considérables stationnaient dans les ports de Cons- tantinople et ses arsenaux étaient pleins de matériaux de toute sorte, permettant de construire en peu de temps de nombreux vaisseaux s sous les Paléologues, il ne restait presque rien de cette ancienne abondance et le port ne contenait qu'une dizaine de galères tout au plus : ce fut Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 45 sur des navires catalans que Constantin effectua son voyage du Péloponnèse à Constantinople. Les ressources matérielles n'étaient pas seules à man- quer, la ville se trouvait aussi dans une grande détresse morale. Sans nous arrêter aux mensonges et aux exagé- rations de ritalien Ubertino Pusculo sur la cupidité, les mœurs dissolues et la mauvaise foi de ses habitants, Constantin lui-même avouait à Phranzès qu'il ne voyait autour de lui aucun conseiller désintéressé ou capable, à qui il pût demander un avis dans des circonstances aussi périlleuses. Au point où en étaient les choses, Constantin ne pou- vait rien entreprendre par lui-même. Parmi les Etats eu- ropéens, deux seulement avaient montré par des actes qu'ils étaient disposés à combattre les Ottomans : c'étaient îa Hongrie et le Saint-Siège. Cependant la Hongrie, après la terrible défaite essuyée à Cossovo, avait conclu avec Mourad II un traité de paix pour sept années; quant au pape, il exigeait avant tout le maintien du dé- cret d'union, car il se préoccupait moins d'empêcher les progrès des Turcs que de soumettre les chrétiens de l'O- rient à sa propre autorité. Cependant, toute TEglise offi- cielle de Constantinople acceptait sincèrement l'union avec Rome; nous voyons que les deux patriarches œcu- méniques, Métrophane II et Grégoire III Mélissène, qui occupèrent dans cet intervalle le siège œcuménique de Constantinople, adhéraient à l'union ; et ce dernier resta jusqu'à la fin le confesseur de l'empereur. Néanmoins, tous les autres patriarches, et surtout le métropolitain de Césarée, se montrèrent hautement hostiles à tous les efforts de Métrophane pour rendre l'union effective. En 1450, dans l'église de Sainte-Sophie, se réunit un synode Digitized by Google 46 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE composé des trois patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, puis d'une foule d'évéques et de divers membres du clergé, parmi lesquels on remarquait le principal adversaire des actes du concile de Florence, Marc d'Ephèse. Ce synode déposa le patriarche Grégoire, successeur de Métrophane, et élut à sa place patriarche orthodoxe de Constantinople, Athanase IL Ces faits n'é- taient certainement pas de nature à engager le pape à venir au secours de la ville en danger. Telle était la situation en février 1451, quand Maho- met II succéda à son père Mourad IL Ce prince, d'après ce qu'en dit le Vénitien Georges Dolfino, était alors dans la vingt-sixième année de son âge ; il avait une forte cons- titution, était d'une stature élevée, intrépide dans les combats, d'un aspect sévère et rarement souriant; il se montrait réfléchi, généreux, persévérant dans ses projets, audacieux; il recherchait la gloire comme Alexandre-le- Grand. Il possédait les langues turque, grecque et slave *; avec laide de deux de ses amis italiens, il étudiait l'his- toire ancienne et moderne de l'Europe, la géographie, l'art militaire ; rempli du désir de dominer, il approfon- dissait dans ce but la cause des événements. Voilà à quel homme et à quel caractère les chrétiens allaient avoir afiaire. Cependant le nouveau sultan ne se hâta pas de dévoi- ler immédiatement ses desseins sur Constantinople. Il préféra combattre d'abord l'ancien adversaire de sa fa- mille, le prince de Caramanie, lequel, après la mort de Mourad, avait envahi le territoire ottoman, s'était emparé de trois forteresses et d'une partie des terres environ- I . Gibbon lui accorde la connaissance de cinq langues. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 47 nantes. Mahomet savait par expérience que son vieil en- nemi était toujours prêt à s'allier avec les chrétiens con- tre les Turcs ; il ne voulait pas qu'une pareille alliance vînt compromettre son grand projet au moment de l'exécuter. Pour cette raison, il accueillit avec bonté à Andrinople les représentants des empereurs de Cons- tantinople et de Trébizonde, des despotes du Pélopon- nèse Démétrius et Thomas, des princes de Lesbos, de Chio et d'Acarnanie, des chevaliers de Rhodes et des Génois de Galata. Il promit à tous de respecter les trai- tés conclus avec son père, consentit à continuer de payer à l'empereur de Constantinople la somme an- nuelle de 3oo,ooo aspres * pour la pension du prince Orkhan, réfugié à Constantinople, nous ne savons pas au juste depuis quand ni pour quel motif. En même temps Mahomet rendit à ses parents la princesse Marie de Serbie, veuve de Mourad, et conclut avec Hunyade un traité de paix pour trois ans. Ensuite, vers le milieu de 145 1, il se rua sur son ennemi et coreligionnaire en Asie. Constantin ne se laissa pas aveugler par les feintes ex- pressions d'amitié du nouveau sultan ; il comprit qu'après avoir détruit la puissance du prince de Caramanie, Ma- homet tournerait toutes ses forces contre Constantinople ; et, bien qu'il se rendît compte de sa propre impuissance, ainsi que de Tindififérence et même de la malveillance de l'Europe, il ne crut pas moins nécessaire de tenter quel- que chose pour le salut commun. I. Vaspre était une monnaie d'argent dont la valeur subit un grand et rapide avilissement. Dans la première moitié du xv» siècle, Taspre était encore approxi- mativement la dixième partie du ducat turc, lequel équivalait à 12 francs envi- ron, valeur de l'époque; en i8îi, Taspre ne formait plus que la cent vingtième partie d'une piastre turque. Digitized by Google 48 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE Nous Tavons dit, à Constantinople s'était retiré un prince ottoman, nommé Orkhan, pour l'entretien duquel les sultans payaient une pension de 3oo,ooo aspres. De semblables hôtes s'étaient déjà présentés à Constantinople, et avaient trouvé un asile auprès des empereurs : c'est ainsi que, du temps de l'empereur Manuel et du sultan Mahomet I, les princes Mustapha et Djunéid avaient été accueillis à Constantinople moyennant une pension de 3oo,ooo aspres, consentie par le sultan. Ces princes étaient admis dans un double but : en les empêchant de s'éloigner de la ville, le gouvernement grec espérait sa- tisfaire ses ennemis, les rendre moins acharnés ; dans le cas contraire, il avait la ressource, si l'occasion se pré- sentait, de s'en servir contre les sultans dont ils étaient les adversaires encore dangereux. C'est ce que fit Constantin dans cette circonstance en cherchant à susciter sur les derrières de Mahomet, aux prises avec le prince de Cara- manie, un adversaire qui se trouvait être son coreligion- naire et son parent. A cet effet il envoya des ambassadeurs au camp du sultan avec mission de lui dire qu'il devait doubler la pension faite à Orkhan, ou s'attendre à voir ce prince en liberté. Mais la lâcheté du prince de Caramanie, et la ra- pidité foudroyante avec laquelle Mahomet fit son expédi- tion, anéantirent, dès le principe, l'entreprise de Cons- tantin. Les envoyés grecs n'arrivèrent au camp du sultan qu'après ceux du prince de Caramanie, chargés de présen- ter des excuses sur ce qui s'était passé, et de proposer la restitution de tout ce que venait de conquérir leur maître qui, effrayé des grands préparatifs du sultan, croyait toute résistance impossible. Mahomet, décidé à se débar- rasser une fois pour toutes d'un voisin incommode. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 49 changea cependant d'avis en apprenant la menace venue de Constantinople^ et accorda la paix implorée par les envoyés du prince de Caramanie; puis, répondant aux envoyés de Constantin, il leur dit que, sous peu, il retour- nerait à Andrinople ; que là ils pourraient mieux lui com- muniquer tout ce qui était utile à leur empereur et à leur cité, et qu'alors, avec plaisir, il ferait droit à leur requête. 11 passa en même temps et en toute hâte à Andrinople. Digitized by Google Digitized by Google CHAPITRE IV DE retour dans sa capitale, Mahomet jeta le mas- que : d'abord, il suspendit le payement de la pen- sion accordée au prince Orkhan; ensuite il commença, d'une manière indirecte, les premières hostilités con- tre Constantin. Sur la côt« orientale du Bosphore, là où le détroit se rétrécit davantage, près de l'endroit où, Tannée 5i5 av. J.-C, fut construit par le Samien Man- droclès le pont sur lequel Darius fit passer son armée de TAsie en Europe pour attaquer les Scythes, un peu au nord du village actuel de Ghiok-Sou, les Turcs avaient construit depuis quelque temps déjà, selon les uns sous Mahomet I, selon d'autres sous Bajazet I, le fort qui existe encore aujourd'hui, et qui est connu sous le nom d'Anadoli-Hissar. Mais ce fort ne suffisait pas pour assurer le passage des troupes turques de TAsie en Europe, et encore moins pour les rendre complète- ment maîtresses du Bosphore à une époque où les Turcs ne possédaient pas une flotte importante, et alors que Tartillerie n'avait pas atteint la puissance acquise de Digitized by Google 52 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE nos jours. A la veille de la bataille de Varna, Mourad n'avait traversé le détroit qu'avec de grandes difficultés. Le jeune sultan, ayant arrêté dans son esprit le pro- jet de s'emparer de Constantinople, résolut de s'en as- surer le libre passage, II considéra comme une chose de première nécessité de couper les communications de la ville avec la mer, pour qu'elle ne pût recevoir aucune assistance en hommes, en vivres, en vaisseaux, ou au- tres munitions et provisions de guerre. Il espérait obte- nir ce résultat, du côté de l'Hellespont, avec la flotte qu'il faisait construire ; mais, comme cette flotte ne suf- fisait pas à fermer aussi le Bosphore, il dut chercher un autre moyen. Il imagina alors d'élever vis-à-vis du fort existant, et sur le rivage d'Europe, une autre forteresse beaucoup plus formidable; et, dans l'hiver de Tan- née 145 1-52, les provinces de ses Etats reçurent l'ordre de lui préparer mille maçons avec des manœuvres en proportion, ainsi que tous les matériaux nécessaires. Ducas affirme que quand ils eurent connaissance de ce projet, les chrétiens d'Orient comprirent que la fin de la ville était prochaine et que la prise de Constantinople de- vait consolider la puissance ottomane. Mais, suivant d'au- tres écrivains, l'impression de cet événement ne fut ni aussi générale, ni aussi vive. D'après le dire de Phranzès, on peut conjecturer que les hommes les plus marquants de Constantinople hésitèrent à croire possible un tel ou- vrage, ou pensèrent que, si la forteresse venait à être construite, ils s'en empareraient facilement, vu la faible distance qui la séparerait de la ville. Si nous devons ajou- ter foi à « l'Histoire politique de Constantinople, > ouvrage écrit longtemps après la chute de la ville et dont l'auto- rité nous est suspecte, les habitants eux-mêmes se virent. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 53 par crainte, forcés de contribuer à l'édification de ce fort, en fournissant des matériaux et des vivres. Peut- être fut-ce le cas de quelques individus isolés. D'autre part, la nouvelle de la construction de cette forteresse sur le Bosphore ne pouvait produire, en géné- ral, une impression aussi vive que le rapporte Ducas : les chrétiens d'Orient depuis longtemps, et surtout pen- dant les trente dernières années, s'étaient tellement habi- tués à voir les Turcs attaquer la ville sans relâche ; ils l'avaient vue si souvent assiégée par eux, que les projets de Mahomet 11 ne pouvaient ni les émouvoir beaucoup ni les surprendre. L'empereur lui-même en fut si peu affecté, qu'après le retour de Phrarizès, revenu de Géor- gie, il ne laissa pas de s'occuper avec lui de son pro- chain mariage et aussi de plusieurs ambassades, dont il projetait de charger ce fidèle ami et ministre. S'il vit avec regret le mauvais succès de son entreprise touchant Orkhan, il ne crut pas cependant le désastre très pro- chain, parce qu'il appartenait à cette race d'hommes qui ne s'abandonnent aisément ni à l'espoir ni à la crainte; et qui, résolus à remplir leur devoir jusqu'au bout, partout et toujours, agissent en conséquence avec d'autant plus de sang-froid qu'ils sont prêts à sacrifier leur vie. Néanmoins, Constantin ne négligea pas d'informer en- core une fois l'Europe occidentale de la situation critique des affaires, bien qu'il n'en espérât point des secours effi- caces. En efiet, après la déposition du patriarche Gré- goire Mélissène, le pape Nicolas V écrivit, à plusieurs reprises, à l'empereur pour réclamer formellement le ré- tablissement de ce patriarche, et l'obliger à maintenir l'u- nion, prophétisant que, s'il en était autrement, l'esclavage des chrétiens d'Orient était proche. Constantin, de son Digitized by Google 54 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE côté, avait envoyé une nouvelle ambassade au Saint-Père pour lui demander son assistance contre les Ottomans, et le prier en même temps de lui adresser des théologiens ap- tes à traiter de Tunion des deux Eglises. Il eut également recours aux diverses puissances de TEurope^ et en parti- culier à Venise ; bien plus, il s'adressa aussi au sultan, résidant alors à Andrinople, dans Tespoir de réussir à le détourner de son projet. Cette espérance était tellement illusoire, que nous ne pourrions nous expliquer l'étrange démarche de Constantin, si nous n'apprenions par le récit de Pusculo qu'elle avait été conseillée par Khalil pacha, et quG Tempereur, dans son extrême embarras, n'avait pas cru devoir s'y refuser. Quand les envoyés grecs se présentèrent devant Ma- homet, ils s'appuyèrent principalement sur cet argument, que la forteresse qui avait été autrefois construite sur la rive d'Asie^ n'était pas en opposition avec les trai- tés, puisque les Ottomans étaient, depuis longtemps, maîtres du territoire asiatique ; mais que la construction projetée d'une forteresse sur la rive européenne, devant les portes de la capitale, était une marque évidente d'hos- tilité. Des récits de Ducas et de Critobule nous ne pou- vons inférer si les Grecs revendiquèrent comme leur appartenant le territoire sur le Bosphore, du côté de l'Eu- rope; peut-être cette portion du territoire fut-elle considé- rée comme une zone neutre que pouvaient traverser les armées ottomanes, mais sur laquelle il ne leur était pas permis de bâtir de fort ou d'autres constructions. Quoi qu'il en soit, les envoyés de l'empereur employèrent jus- qu'au dernier argument de la faiblesse, en disant, à la fin de leur discours, qu'ils étaient prêts à payer tribut au sul- tan s'il voulait abandonner son dessein. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 55 Il est tout à fait surprenant que, dans sa réponse, Maho- met ait complètement omis de mentionner la menace que l'empereur lui avait faite au sujet d'Orkhan. Mais, après avoir parlé d abord avec assez de modération, il s'excita peu à peu, s'enfiammant pour ainsi dire à ses propres pa- roles, et termina par des menaces terribles : c Je ne forme point d'entreprise contre votre ville, mais ses murs sont les bornes de votre empire. Avez-vous oublié la dé- tresse où se trouva mon père quand vous fîtes une ligue avec les Hongrois, lorsqu'ils envahirent notre contrée par terre, et que des galères franques occupèrent THel- lespont ? Mon père se vit réduit à forcer le passage du Bosphore, car vos moyens n'égalèrent pas votre malveil- lance. J'étais alors un enfant; les musulmans tremblaient et les infidèles insultèrent à nos malheurs. Mais, lorsque mon père eut remporté la victoire dans les champs de Varna, il fit vœu d'élever un fort sur la rive occidentale ; je dois accomplir ce vœu. Avez-vous le droit, avez- vous la force d'empêcher ce que je veux faire sur mon propre territoire ? Car ce terrain est à moi ; les établisse- ments des Ottomans en Asie arrivent jusqu'aux côtes du Bosphore, et TEurope est désertée par les Romains. Retournez chez vous ; dites à vofre souverain que le sul- tan actuel ne ressemble guère à ses prédécesseurs ; que ses résolutions surpassent les vœux qu'ils formèrent, et qu'il fera plus que ce qu'ils ont jamais entrepris. Vos jours sont en sûreté ; mais je ferai écorcher vif le pre- mier d'entre vous qui reviendra avec un pareil message. > Après cette déclaration, aucun doute ne pouvait subsis- ter ni sur la détermination bien arrêtée de Mahomet de construire le nouveau fort, ni sur ses intentions ultérieu- res : il voulait, lui, ce que ses prédécesseurs n'avaient Digitized by Google 56 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE point voulu. Or, quelle autre chose n avaient-ils point voulue, sinon la prise de Constantinople ? C'est à cette entreprise qu'il s'était résolu, c'est pour la préparer qu'il commençait l'investissement de la ville en construisant le nouveau fort. Au reçu de cette réponse, Fempereur, mal- gré sa détresse, ne perdit point courage; et, voulant tout tenter pour empêcher l'exécution de ce projet, il résolut d'être le premier à déclarer la guerre. Mais ses conseil- lers, tant ecclésiastiques que laïques, à qui il dut soumet- tre son dessein, s'y opposèrent, prétendant que la pru- dence exigeait de voir d'abord ce que le sultan ferait ; ils ajoutèrent que rien ne serait plus facile que d'occuper une forteresse bâtie si près de la ville. Au printemps de 1452, le sultan arriva d'Andrinople, avec le matériel, les ouvriers, ainsi que les troupes né- cessaires, et fit immédiatement commencer les travaux. L'exécution, sous la haute surveillance du sultan, en fut confiée à quatre de ses plus illustres ministres : au grand vizir Khalil pacha, au vieux général Saridjé pacha, d'origine grecque, prétend Chalcocondyle, au parent du sultan Zaganos pacha et au chef des eunuques Séhabed- din pacha. Il était cependant impossible que les travaux pussent être menés à bonne fin sans collisions entre les chrétiens et les Turcs. Il arriva, en effet, que les ouvriers employèrent sans scrupule pour leur construction les dé- bris des églises et de divers édifices qui ornaient autre- fois les environs de la ville ; quelques habitants de Cons- tantinople, indignés de ces profanations, sortirent pour y mettre obstacle ; ils furent tous saisis et mis à mort. En outre, les Turcs, foulant aux pieds les champs ensemen- cés et les récoltes, et enlevant le bétail des chrétiens, fo- mentaient les causes de fréquentes querelles, dont une Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 5j finit par prendre les proportions d'un véritable combat, qui eut lieu près du village actuel de Kanlikavac, entre Bessikhtach et Kéatkhané. A cette nouvelle, Constantin se décida, au mois de juillet, à ordonner de fermer les portes de la ville, et fit arrêter tous les Turcs qui se trou- vaient dans les murs ; mais cédant à leurs prières, il les relâcha quelques jours après, en envoyant par deux am- bassadeurs le message suivant au sultan : € Puisque tu veux la guerre et que ni les serments, ni les traités, ni la soumission ne peuvent te faire changer de résolution, fais ce qui te plaît, je mets ma confiance en Dieu : s'il veut adoucir ton cœur, je me réjouirai de cet heureux changement; s'il le livre la ville, je me soumet- trai sans murmure à sa volonté. Pour le moment, je te délie de tes serments et de tes obligations. Ayant fermé les portes de la ville, je la défendrai tant que j'en aurai le pouvoir. Toi, règne en tyran jusqu'à ce que le juge su- prême des princes de la terre prononce sur tous, sur moi comme sur toi, sa juste sentence. » Le sultan écouta ces paroles en silence, sans daigner même prononcer un mot pour atténuer les violences com- mises; il déclara immédiatement la guerre, et fit trancher la tête aux deux envoyés. On continua la construction de la forteresse, qui fut ache- vée dans le mois d'août, c'est-à-dire dans l'espace de six mois environ. Ce fort existe encore de nos jours et est ap- pelé Rouméli-hissar; mais les Turcs le nommèrent alors Bogaz-Kessé (entrave du détroit) et les Grecs, Laemocopia (coupe-gorge). Le sultan l'arma de gros canons de bronze, lançant des boulets en granit du poids d'environ 600 livres, et y plaça une garnison de 400 hommes sous le com- mandement de Firuz-bey, à qui il enjoignit de ne permet- ^Digitized by Google 58 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE tre à aucun navire, grand ou petit, à quelque nationalité qu'il appartînt, soit montant, soit descendant le détroit, de passer sous ses batteries sans payer un péage. Un navire vénitien, comme nous le verrons plus loin, qui refusa do- béir aux nouveaux maîtres du Bosphore, fut coulé bas et son équipage massacré. Vers la fin du mois d'août, Maho- met se présenta devant Constantinople, où il avait déjà réuni une armée de 5o,ooo hommes, et passa trois jours dans le camp pour bien se rendre compte de Tétat de la ville et de ses moyens de défense; puis il revint à An- drinople dans les premiers jours de septembre. C'est ainsi que vers le milieu de Tannée 1452 fut défi- nitivement déclarée cette guerre, qui devait amener un événement des plus importants pour l'hellénisme et pour le monde chrétien; cependant le véritable siège de Cons- tantinople ne commença qu'environ neuf mois plus tard, de sorte que nous avons le loisir d'examiner tous les pré- paratifs des deux adversaires. Malgré le dénûment de la ville, Constantin fit tout ce qu'il était humainement possible de faire pour la résis- tance. Aussi Phranzès, justement indigné contre ceux qui l'accusaient de faiblesse et d'incapacité, s'écrie avec rai- son : € Que n'a-t-il pas essayé en secret et d'une manière ostensible pour secourir la ville!... Tout le monde sait que s'il eût voulu fuir, la fuite lui aurait été facile; mais il ne Ta pas voulu; et il a combattu comme le fidèle berger qui sacrifie sa vie pour le salut de son troupeau. » Dès les premiers mois de cette année, l'empereur avait commencé à rassembler dans les murs de la ville les paysans et les habitants des alentours avec leurs provisions et tout le blé qu'on avait pu recueillir; il ordonna, en outre, à quatre navires, dont l'un était une grande galère, d'aller cher- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS Sg cher aux îles, au Péloponnèse, ou en tout autre endroit ami, du blé, du vin, de l'huile, des figues sèches et toute sorte de subsistances; mais ces navires ne purent revenir qu'après le commencement du siège. 11 voulut aussi sa- voir le nombre de ceux qui pouvaient ou voulaient porter les armes, s'enquit de la situation des arsenaux, des forti- fications, des navires disponibles, et tâcha d'y apporter toutes les améliorations possibles. Néanmoins tous ces efforts donnèrent de bien faibles résultats, et il était tout à fait évident que, sans une assistance sérieuse du dehors, il n'y avait plus rien à espérer. Aussi avons-nous vu que, vers la fin de l'année i45i, l'empereur avait envoyé des ambassadeurs aux puissances de l'Europe occidentale, afin de leur exposer l'extrême gravité de la situation et de leur demander l'envoi de secours efficaces. L'empereur d'Allemagne Frédéric III, couronné à Rome le 19 mai 1452, entra bien en pourparlers avec ie pape pour sauver la Hongrie, la Grèce et la Palestine, mais n'entreprit rien. Alphonse, roi d'Aragon, de Naples et de Sicile, fut prié par les Génois, avec qui il se trouvait en guerre, de tourner plutôt ses armes contre les infidèles; mais lui non plus n'agit point. Hunyade promit des secours à Constantin, à condition d'en être payé d'avance par la cession de Sélyvrie ou de Mésem- bria. Constantin, sans s'expliquer comment des alliés pou- vaient demander à mutiler encore les misérables lam- beaux de l'Empire, dut céder Mésembria. Il se trouva qu'après cette concession, Hunyade n'eut le temps de rien tenter en faveur de Constantinople. Le roi de Catalogne, de son côté, réclama l'île de Lesbos qui lui fut accordée, mais sans aucun profit. Parmi les principautés de rOrient, la Serbie envoya de l'argent et une armée Digitized by Google 6o LA PRISE DE CONSTANTINOPLE assez considérable, mais ce secours fut adressé au Sultan, non à Constantin. Aussi, pendant le siège, montrant avec ostentation ces alliés aux assiégés, Mahomet leur disait : « Voyez, les Serbes eux-mêmes sont contre vous. > L'em- pereur était entré également en pourparlers avec le sultan d'Egypte qui, se trouvant en hostilités avec les Turcs, fit beaucoup de belles promesses, mais n'alla pas plus loin. Les Vénitiens seuls, les Génois et le pape ne restèrent pas complètement sourds aux instantes prières de Cons- tantin. 11 est vrai de dire que, pour les Vénitiens et les Gé- nois, la chute de Constantinople devait avoir de fort gra- ves conséquences; car, ce boulevard une fois tombé aux mains des Ottomans, il était difficile qu'ils pussent défen- dre et conserver leurs nombreuses possessions ou colonies, disséminées dans tout l'Orient. Cependant de quelle ma- nière avisèrent -ils à son salut? Le doge de Venise jugea à propos de montrer alors sa rancune de ce que l'empereur n'avait pas voulu épouser sa fille. En conséquence, il or- donna à l'amiral Jacopo Loredano de réunir en Crète, à Corfou, à Méthone, à Nauplie, en Eubée le plus grand nombre de vaisseaux possible, de l'argent, des troupes et d'autres ressources, et de venir au secours de la ville en danger; mais, à la place de ces immenses armements, an- noncés avec tant d'éclat, deux petites galères de guerre arrivèrent seules à Constantinople, en décembre 1452, sous les ordres de Gabriel Trevisano. Un mois auparavant, étaient venus de Crète huit navires chargés de provisions, surtout de vin de Monembasie, dont, à ce qu'il paraît, on faisait alors grande consomma- tion. En outre, quatre grandes galères vénitiennes de com- merce essayèrent de traverser le Bosphore pour se rendre à Constantinople. Deux d'entre elles étaient commandées Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 6l par Jérôme Morosini, la troisième par Antoine Rizzo et l'autre par Jacques Cocco. Les deux premières venant de Théodosie^ aussitôt arrivées le lo novembre devant le fort de Rouméli-Hissar^ reçurent Tordre de carguer leurs voi- les; comme elles ne s'empressaient pas d*obéir^ elles re- çurent un second signal. Alors le commandant fit semblant de manœuvrer pour se rapprocher du tort; les Turcs exi- gèrent que les navires accostassent tout à fait au rivage, et leur lancèrent quelques boulets qui tuèrent plusieurs matelots; le capitaine vénitien se montra prêt à obéir, et le feu cessa; cependant le rusé Vénitien s'étant assuré que bientôt ses navires, avançant toujours, se trouveraient hors de la portée des batteries, fit subitement porter toutes les voiles, et arriva sans autre accident dans le port de Constantinople, où il trouva l'accueil le plus empressé. Antoine Rizzo ne ftit pas aussi heureux. Il portait une cargaison d'orge pour Constantinople, et parvint sous la forteresse le 26 novembre. Ayant refusé d'obtempérer aux ordres de la garnison, son navire fiit coulé bas d'un seul coup de canon ; le capitaine et trente hommes de son équi- page se sauvèrent sur une chaloupe et débarquèrent au rivage; mais ils furent tous faits prisonniers et envoyés au sultan qui se trouvait alors à Didymoticho : là, ils restè- rent une quinzaine de jours en prison, puis Rizzo fut em- palé; son pilote, qui était jeune, fut réservé pour le ha- rem; quant aux matelots, les uns furent mis à mort et les autres rendus à la liberté. Jacques Cocco, qui venait de Trébizonde, eut une meil- leure fortune. Lorsqu'il atteignit le fort, le 2 décembre, douze barques turques l'entourèrent; il n'opposa aucune résistance, s'entretint amicalement avec leur chef et lui donna quelques présents; mais ce dernier, jetant avec co- Digitized by Google 62 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE 1ère les présents à la mer, se hâta de regagner le fort pour demander la permission de saisir le navire; Cocco feignit de vouloir le suivre, comme s'il avait l'intention de jeter l'ancre sous la forteresse ; mais, de fait, il continua à ramer pour avancer, et, quand il jugea qu'il s'en trouvait assez éloigné, il salua les Turcs par trois fois de sa fanfare et entra sain et sauf dans le port de Constantinople. Donc, trois galères réussirent à passer le Bosphore; c'é- taient des navires de commerce ; cependant, vu leur ca- pacité et étant bien équipés en guerre, on jugea utile de les retenir même contre leur gré; à la fin, les capitaines consentirent à demeurer avec autorisation du gouverne- ment vénitien et à la condition que l'empereur se charge- rait de tous les frais d'entretien tant des deux petites galè- res de guerre que de ces trois grandes galères de com- merce, en leur payant en sus 3oo ducats par mois. Voilà quels furent^ au juste, les secours fournis par les Vénitiens. Plus sérieuse fut l'assistance que donnèrent quelques nobles Génois, surtout à cause de la grande bravoure et de l'habileté de leur chef. Le 26 janvier 1453, arriva Jean Giustiniani avec deux gros navires, l'un de la portée de 1,200 tonneaux et l'autre de 800^ montés par 700 soldats aguerris, dont 400 armés de toutes pièces. Il faut remar- quer que Giustiniani ne vint pas par ordre du gouverne- ment de Gênes; il accourut, ou de son propre mouvement, ou sur les instances de Constantin et, dans tous les cas, à ses propres frais. L'empereur, qui connaissait et appréciait la valeur de ce guerrier, le reçut avec de vives démons- trations de joie et lui fit beaucoup d'honneurs; il lui remit le suprême commandement des troupes, et promit de lui céder l'île de Lemnos^ si Constantinople était sauvée. Le pontife de Rome, Nicolas V, dès qu'il reçut les nou- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 63 velles lettres de Constantin, se décida à secourir la chré- tienté en péril. Dans ce but, il envoya un théologien ha- bile qui lui avait été demandé afin d amener la réconci- liation et l'union des deux Eglises. Quant aux secours militaires, ils furent vraiment dérisoires; ils consistèrent en 5o hommes armés. Nous devons avouer que le légat du pape, le cardinal Isidore, archevêque de Kieff, originaire du Péloponnèse et qui s'était déjà tait connaître au concile de Florence, était d'un caractère modéré et prudent; mais la charge dont on l'avait investi, rendue déjà plus difficile à remplir par suite des circonstances si pénibles du mo- ment, était par elle-même au-dessus de toute habileté hu- maine. Elle paraissait bien ridicule, par contre, la compen- sation qu'on offrait au regard du sacrifice de tous les dog- mes nationaux. Le légat lui-même, à cause de sa qualité de Grec rallié au siège de Rome et servant, en toute con- science, les intérêts du Saint-Siège, ne pouvait qu'augmen- ter la méfiance et l'aversion que devait inspirer aux Grecs tout envoyé du pape chargé d'une semblable mission. Le cardinal, avec ses 5o hommes d'armes, aborda premiè- rement à Chio sur un gros navire génois. Là, il enrôla 1 5o catholiques romains, parmi lesquels se trouvait l'ar- chevêque latin de Mitylène, Léonard, dont il nous reste le récit de la chute de Gonstantinople; prenant ensuite avec lui un autre navire qui se dirigeait vers Théodosie, il mit à la voile pour Gonstantinople, où il arriva en no- vembre. L'empereur lui fit un cordial accueil, bien que prévoyant toutes les difficultés que sa mission allait faire surgir. Mais il avait un tel besoin d'assistance qu'il prit le parti de tenter l'impossible, afin de gagner les bonnes grâces du légat, même au prix des plus douloureux sacri- fices. Digitized by Google 64 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE En conséquence, après diverses conférences prépara- toires touchant l'objet du voyage du cardinal Isidore, on réunit dans l'église de la Sagesse Divine une grande as- semblée; après de ferventes prières, le légat du pape prit la parole, et rassemblée se soumit au décret d'union, toutefois, avec la clause formelle que, lorsque le péril ac- tuel serait passé, les conditions de l'union seraient révisées et modifiées, si par hasard on reconnaissait que le décret contînt quelque article ne s'accordant pas entièrement avec les canons de FEglise. Ensuite, le 12 décembre 1452, dans cette même église de Sainte-Sophie, la messe de réconciliation fut célébrée en commun par des prêtres latins et grecs, et l'on fit dans les diptyques la commémo- ration du pape Nicolas V et du patriarche exilé, Grégoire Mélissène. A cette cérémonie assistèrent Tempereur et les dignitai- res de la cour, près de trois cents ecclésiastiques et une foule assez nombreuse. Mais il était évident que c'était un acte dépourvu de sincérité ; la clause stipulée avant la signature de l'union préparait déjà la ruine de tout ce qui avait été fait et convenu. Dans leurs entretiens avec ceux qui s'étaient refusés à participer à Tunion, les ralliés à l'Eglise de Rome allaient encore plus loin et disaient : « Laissez-nous échapper à ce grand danger, puis vous ver- rez si nous partageons les opinions des azymites. » En outre, beaucoup de ceux qui avaient assisté à la messe du 1 2 décembre ne voulurent pas prendre du pain bénit {anti- doron), considérant comme une profanation de célébrer la messe avec du pain sans levain. Les conséquences de l'union furent encore plus désas- treuses : les détails de l'anarchie religieuse survenue ces jours-là à Gonstantinople ne nous sont connus que par les Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 65 récits de Léonard de Chios et de Ducas; Léonard était catholique romain, et Ducas, né et élevé sous la domina- tion génoise, n'avait pas un très vif sentiment de l'ortho- doxie ; de plus, ces deux auteurs n'ayant pas été témoins oculaires des faits qu'ils racontent, leurs récits portent la trace de l'exagération ou de l'inexactitude. Au fond, pour- tant, ils doivent avoir raison dans ce qu'ils rapportent sur la situation des esprits avant et après l'union. Et, man- quant d'autres sources d'information, nous devons forcé- ment les suivre, bien que nous ayons beaucoup de doutes sur l'exactitude de ce qu'ils avancent. Il nous paraît certain que la plupart des membres du clergé, surtout du clergé inférieur, tous les moines et les religieuses, ainsi que la majeure partie du peuple, ne voulaient à aucun prix entendre parler de l'union. Ainsi, tandis que les plus modérés, d'accord avec l'empereur, et voyant la position critique de la ville, consentaient à accepter l'union, une foule nombreuse se porta au monas- tère du Pantocrator, devant la cellule du moine Genna- dius, connu auparavant sous le nom de Georges Schola- rius, et lui demanda à grands cris « ce qu'elle devait faire » . On sait que Scholarius s'était montré un des plus zélés défenseurs de l'union à Florence; mais, s'étant convaincu depuis que la chose était impraticable, ou qu'en l'état pré- sent des affaires, rien ne pouvait sauver les chrétiens d'Orient du joug ottoman, il changea d'opinion, s'enten- dit avec les adversaires de l'union et devint leur chef après la mort de Marc d'Ephèse. Assiégé par la foule, il ne voulut pas paraître; mais, d'après Ducas, il écrivit sur des tablettes son avis et le conseil suivant : t Misérables Romains, pourquoi aban- donnez-vous la vérité ? Au lieu de mettre votre confiance b Digitized by Google 66 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE en Dieu, pourquoi comptez-vous sur les Latins? Vous perdrez votre ville, et, en même temps, vous aurez renié la foi de vos pères en vous liguant avec Timpiété... Seigneur, ayez pitié de moi. > Après avoir écrit ces paroles et d'au- tres encore, il afficha en cachette sa protestation à la porte de sa cellule. Dès que le peuple en eut pris connais- sance, tous crièrent anathème au décret d'union, contre ceux qui l'avaient approuvé, l'approuvent ou l'approuve- ront; puis, quittant la cour du monastère, ils coururent aux tavernes, et là, tenant en main des bouteilles pleines de vin, ils répétèrent leurs imprécations contre les parti- sans de l'union, buvant en l'honneur de Timage de la Sainte Vierge et la suppliant de défendre la ville contre Mahomet, comme elle l'avait autrefois défendue contre les Perses, les Slaves et les Arabes; ils s'écrièrent à la fin : « Qu'avons-nous besoin de secours ou d'union? Qu'a- vons-nous besoin des Latins? Loin de nous le culte des azymites. » Par malheur, ce n'était pas le peuple seul qui avait ces idées ; les classes supérieures elles-mêmes se trouvaient divisées : les gens de la cour, pour la plupart, avaient as- sisté à la messe de l'union, et Georges Phranzès avait conseillé non-seulement la réconciliation avec l'Eglise de Rome, mais encore d'élever au trône patriarcal le cardi- nal Isidore, conseil que l'empereur, dans sa prudence, ne crut pas devoir suivre. D'un autre côté, plusieurs nobles et courtisans soutenaient publiquement Gennadius; parmi ceux-ci, on distinguait le plus haut fonctionnaire de l'Etat, le grand-duc Lucas Notaras. La haine que cet homme portait aux Latins était telle, que, lorsque la ville fut, quelques mois après, entièrement assiégée par les Turcs, et que les habitants, selon le rapport de Ducas, se repen- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 67 tant de leur opposition, disaient : t II aurait mieux valu livrer la ville aux Latins qui au moins adorent le Christ et la Sainte Vierge, pour ne pas la laisser tomber dans les mains des infidèles, » Lucas Notaras, s'il faut donner créance à notre auteur, persistant jusqu a la fin dans son opinion, répondait : « Il est préférable de voir régner à Constantinople le turban des Turcs qu'un chapeau de cardinal. > Dans quel état lamentable on était tombé! La ville se trouvait entourée par un ennemi entreprenant et tout-puissant, et les citoyens étaient divisés entre eux par des querelles passionnées! Mais aussi combien est grande devant l'histoire la responsabilité du pontife ro- main qui, au lieu de laisser les habitants de Constantino- ple combattre ensemble et d'un commun accord pour leur patrie et leur foi, continuait à souffler le feu de la discorde, et cela, pour leur envoyer le secours de cin- quante hommes ! La seule consolation de Fempereur, dans une si dure extrémité, fut de voir que, parmi son peuple en proie aux divisions haineuses, il ne se trouvait point de traître. Beau- coup malheureusement, ajoutant foi aux paroles de Gen- nadius et regardant la chute de la ville comme inévitable, ne voulurent point participer à la lutte. Près de 700 per- sonnes cherchèrent leur salut dans la fuite et abandonnè- rent en secret Constantinople, dans la nuit du 26 février, montés sur sept navires, dont six crétois et un vénitien; mais personne ne songea à s entendre avec Fennemi pour lui livrer les portes de la ville. Lucas Notaras lui-même, malgré les paroles que nous avons citées plus haut, com- battit jusqu'à la fin, et avec le plus grand courage, pour le salut commun. Telle était la situation de Constantinople à la veille du grand siège. Digitized by Google 68 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE Pendant ce temps, Mahomet était occupé à Andrinople par des préparatifs formidables. Il donna spécialement beaucoup d'attention à son artillerie; bien que possédant déjà un nombre important de canons, il voulut en fondre d'autres plus puissants, soit pour en armer sa nouvelle for- teresse de Roumeli-Hissar, soit pour détruire plus facile- ment les murs de la ville. Il advint que, pendant la cons- truction de la forteresse, un certain Orban ou Urbain, Hongrois ou Valaque de naissance et de son métier fon- deur de canons, passa par cupidité du service de Constan- tin à celui de Mahomet. Celui-ci l'employa aussitôt, et le transfuge lui fondit, en trois mois, une pièce appelée la Ba- silique (rimpériale), dont on nous a raconté des merveil- les auxquelles il est fort permis de ne pas ajouter foi, mais qu'il faut pourtant mentionner. Selon Phranzès, Ducas et Léonard de Chios, elle avait neuf pieds de tour ou trois de diamètre, était entendue à cent stades à la ronde et lan- çait un boulet de granit du poids de 1,200 livres à la dis- tance d un mille. Selon Khodja-effendi, elle pesait 3oo quin- taux ou 3o,ooo livres. Fondue à Andrinople, d'où elle partit dans les premiers jours de février 1453, précédée de deux cents pionniers et de cinquante charpentiers, tirée, selon la conformation des lieux, ici par soixante, là par trois cents bœufs, et escortée d'une troupe de 2,000 con- ducteurs, elle n'arriva devant Constantinople qu'au com- mencement d'avril. Quand on fit à Andrinople Fessai de ce monstrueux en- gin, le grand visir Khalil pacha donna en secret à Cons- tantin tous les renseignements sur la force et la portée du nouveau canon; car, continuant de recevoir de l'argent du gouvernement grec, il n'avait pas cessé d'entretenir des rapports suivis avec lui. Le sultan n'ignorait pas que son Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 69 premier ministre était un fameux amateur de présents^ et^ bien qu'il plaisantât rarement^ il lui arrivait quelquefois d'en rire. On dit qu'un jour^ ayant aperçu un renard atta- ché^ il prononça ces paroles : t Sot animal, pourquoi n'as- tu pas porté de Targent au visir Khalil pacha pour ravoir ta liberté^ au lieu de te trouver dans la triste position où tu es? > Le sultan soupçonnait bien Khalil d'être soudoyé par la cour de Constantinople^ mais sans en être certain. Vers cette époque, quand il était occupé nuit et jour des préparatifs du siège, on rapporte un fait indiquant et les soupçons du maître et les terreurs du ministre : au milieu de la nuit, Mahomet appela subitement Khalil auprès de lui; celui-ci se trouvait dans sa chambre à coucher; en apprenant qu'il était mandé à pareille heure, il fut saisi de frayeur, em- . brassa sa femme et ses enfants comme s'il craignait de ne plus les revoir, et courut chez le sultan avec un plateau rempli de pièces d'or. Entré dans l'appartement du sultan qu'il trouva assis et tout habillé, il se prosterna et lui pré- senta le plateau. Mahomet lui demanda : « Qu'est-ce que cela^ Lala (précepteur)? » Le visir répondit : « Seigneur, c'est un antique usage, quand un des grands de la cour reçoit l'ordre de se présenter devant son souverain à une heure indue, de ne pas paraître en sa présence les mains vides; par conséquent, j'ai pris ce présent et vous Tai porté non comme venant de moi, mais comme étant une portion de vos biens. » Le sultan répliqua qu'il n'avait nul besoin de cet argent, et qu'il accumulerait sur sa tête d'au- tres bienfaits encore, à la condition seulement qu'il lui don- nerait Constantinople. Khalil, à ces paroles, s'effraya da- vantage, car il savait que le bruit de ses rapports vénaux et criminels avec les Grecs avait pris, depuis peu, plus Digitized by Google 70 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE de consistance j et que ses coreligionnaires lui avaient donné ironiquement le sobriquet de Ghiaour Ortahi (ca- marade des infidèles). Cependant, revenu un peu de son effroi, il dit au sultan : < Seigneur, Dieu qui vous a donné une si grande portion de Tempire romain ne vous refusera pas la capitale et les quelques domaines qui restent encore à cet empire. Sa providence et votre pouvoir me l'assurent, et vos fidèles esclaves et moi, nous sacrifierons notre vie et notre fortune pour exécuter vos volontés. Sur cela, n'ayez aucune in- quiétude. > Par de semblables paroles, le visir calma un peu l'agitation du sultan qui lui dit : « Tu vois cet oreiller; dans mon trouble, je Tai poussé toute la nuit de côté et d'autre; je me suis levé, je me suis recouché, mais le som- meil s'est refusé à mes paupières Je ne te recommande qu'une chose : prends garde à l'or et aux présents des Ro- mains; ne te laisse point détourner du projet dont nous avons parlé; combattons les Romains avec persévérance. Nous valons mieux qu'eux à la guerre, et, avec Taide de Dieu et du prophète, nous ne tarderons pas à nous empa- rer de Constantinople. Maintenant, va en paix. » En cette circonstance, Khalil pacha réussit à éviter le péril; mais, après la prise de la ville, Mahomet, convaincu par Notaras des trahisons de son visir, le fit mettre à mort, et sa fortune fut confisquée. Elle s'élevait à plus de cent vingt mille ducats, soit à quatre ou cinq millions de francs de notre mcmnaie. Ce Khalil était Tarrière-petit-fils du troi- sième grand visir Khaïreddin pacha, connu également sous le nom de Cara-Khalil-Tchendéréli, dont le fils Ali pacha, le petit-fils Ibrahim pacha et Tarrière-petit-fils avaient successivement servi l'Etat ottoman en qualité de grands visirs. Après l'exécution de Khalil pacha, prévalut Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 7I le système d'élever presque toujours à cette dignité des re- négats ou des chrétiens faits musulmans en bas âge. La scène que nous venons de décrire ne témoigne pas seulement des rapports équivoques qui existaient^ à la veille même du siège^ entre le sultan et son visir^ mais aussi des soins incessants et vigilants de Mahomet pour la bonne réussite de son projet. 11 avait tracé de sa propre main le plan de la ville; il discutait avec ses généraux et ses ingénieurs où et comment on dresserait les batteries, où Ton ferait jouer là mine, de quel côté on donnerait Tas- saut et l'on appliquerait les échelles, ce qui ne l'empêchait point de s'occuper avec lé plus grand soin de renforcer son armée, de trouver et de réunir les ingénieurs nécessaires pour tant de travaux divers, comme aussi de former et d'é- quiper à Callipoli une flotte qui devait assiéger la ville par mer. En outre, il ne négligeait rien pour isoler complète- ment Constantinople des portions du territoire qui lui res- tait soumis, quelque faible secours qu'elle pût en attendre. Déjà, au mois d'octobre 1452, il avait ordonné à Toura* khan de venir avec ses deux fils de la Thessalie et de la Macédoine et d'envahir le Péloponnèse à la tête d'une nombreuse armée. La muraille qui défendait l'isthme de Corinthe fut de nouveau emportée par les Turcs après un combat acharné, car les hommes qui succombèrent furent nombreux des deux côtés, et encore plus du côté des chrétiens qui furent mis en déroute. Tourakhan put avancer dans l'intérieur du Péloponnèse, et, passant par Tégée et Mantinée, il vint en Messénie, capturant les habitants et ravageant tout le pays. Après la prise de Néopolichné, il mit le siège devant Sidé- ropolichné, où il rencontra une si forte résistance qu'il dut se retirer sans résultat, A son retour, au milieu des monta- Digitized by Google 72 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE gnes qui séparent la Messénie de l'Arcadie, il fut forcé de diviser son armée ; un corps, sous les ordres de son fils Achmet, fut attaqué et dispersé par le général des despotes Démétrius et Thomas, Mathieu Assan. Achmet tomba au pouvoir du vainqueur et fut envoyé prisonnier à Sparte. Il était donc, encore une fois, démontré en cette circonstance que les Péloponnésiens, quand ils ne se trouvaient pas di- visés par de misérables querelles, savaient non-seulement combattre avec bravoure, mais même vaincre, comme ils l'avaient prouvé auparavant en défendant la citadelle de Patras. Néanmoins, le but principal de l'expédition confiée à Tourakhan était atteint, car les frères du roi, après les pertes éprouvées et à cause du danger toujours imminent d'une nouvelle invasion, ne purent envoyer à Constantino- ple aucune espèce de secours, en supposant même qu'ils en eussent l'intention. D'un autre côté, au commencement de Tannée 1453, le sultan, ayant suffisamment organisé ses troupes, envoya d'Andrinople devant les murs de Constantinople son ar- tillerie et le monstrueux canon dont nous avons parlé, sous la garde d'un corps d'armée commandé par Caradja pacha, qui reçut, en même temps, l'injonction de s'empa- rer des faibles débris de l'empire. Alors les Turcs occupè- rent, soit par reddition volontaire, soit après un court siège, Mésembria, Anchialos, Bison, le fort de San-Stefano, ainsi que les autres forts des environs de la ville. Sélyvrie seule fit quelque résistance; mais cela n'empêcha nullement Ca- radja pacha de bloquer, par terre, de tous les côtés Cons- tantinople : autour de la ville se trouvaient campés, de- puis plusieurs mois, trois corps d'arniée qui, durant l'hiver précédent, avaient arrêté toute sortie de la garnison, et mis ainsi obstacle à ce que les Grecs, dans cet intervalle, Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS ' yS pussent rien entreprendre d'important du côté de la cam- pagne. Par mer seulement^ ils tentèrent^ avec leur flottille^ quelques excursions contre les côtés de TAsie-Mineure, ravageant les villages turcs et faisant des prisonniers qu'ils tuaient ou relâchaient après les avoir conduits à Constan- tinople. Vers la fin de mars^ Mahomet, ayant été informé que son artillerie avec le gros canon approchait des murs, quitta Andrinople, le 23 du même mois, avec le reste de son armée, et, le 5 avril, il établit son camp à deux milles et demi de la ville. Le lendemain, vendredi, jour consacré chez les musul- mans, l'armée s'en approcha à la distance d'un mille. Après les prières d'usage, le commencement du siège fut solennellement déclaré, et l'emplacement des divers corps d'armée fut en partie assigné autour des murailles. Toute- fois l'installation de l'artillerie ne fut achevée que le II avril; et seulement le 12, vers une heure après midi, arriva de Callipoli la flotte turque devant Constantinople. Digitized by Google Digitized by Google CHAPITRE V 9 PLUSIEURS historiens qui se sont occupés de ce siège en ont donné des descriptions détaillées; peut- être dira-t-on qu'il est inutile de le décrire encore une fois; cependant^ il en est de certains événements politiques comme de ces puissantes compositions musicales quij bien que familières à nos oreilles, sont toujours entendues avec un plaisir renaissant; on s'accommode même alors d'une exécution médiocre, pourvu que Tartiste respecte l'œuvre essentielle du maître. La plupart des historiens ne s accordent pas entre eux sur le nombre des forces que Mahomet II rassembla sous les murs de Constantinople : le musulman Haïrul- lah effendi prétend qu'il n'y avait que 80,000 soldats effectifs, et Chalcocondyle en porte le nombre à 400,000. Entre ces deux extrêmes, Léonard de Chios, Critobule et Georges Dolfino disent que Tarmée de terre s'élevait à 3oo,ooo hommes; Ducas parle de 265,ooo; Phranzès, de 298,000, et Barbaro, de 160,000 hommes. Du reste, il est presque impossible d arriver à un calcul même approxi- Digitized by Google 76 LA PRISE DK CONSTANTINOPLE matif de cette armée : les chiffres précités comprennent tan- tôt les soldats proprement dits^ à l'exclusion des valets de l'armée^ tantôt le nombreux personnel qu'elle entraînait à sa suite, y compris les religieux turcs, mollahs, imams, derviches, qui devaient très souvent se mêler au combat pour stimuler le courage et le fanatisme des troupes, et aussi pour avoir part au butin. En conséquence, sans chercher à faire des distinctions ou des calculs arbitrai- res, nous nous bornerons à faire observer que, eu égard à l'étendue qu'avait alors Tempire turc, et à la nécessité dans laquelle se trouvait le sultan d'entretenir une armée de quelque importance en Thessalie et une autre dans TAsie-Mineure, on -peut considérer comme approchant beaucoup de la vérité, le chiffre de 160,000 hommes, donné par l'historien Barbaro. Le sultan dressa sa tente sur la colline appelée aujour- d'hui Maltépé, et fortifia son quartier général par des fos- sés et des palissades; il s'entoura de ses meilleures trou- pes composées de i5,ooo janissaires. A sa droite, de Mal- tépé jusqu'à la mer de Marmara, l'armée d'Asie fixa ses tentes; à sa gauche, de Maltépé jusque près de la rive de la Corne d'or, campèrent les troupes de ses provinces d'Europe. Derrière le quartier général fut placé un corps important comme arrière-garde. Le parent par alliance du sultan, Zaganos pacha, occupa avec un autre corps les hauteurs se trouvant au-delà de la Corne d'or, c'est-à- dire l'emplacement qui s'étend derrière Galata et Kassim- pacha, qui n'était pas alors bâti. Sur toute cette étendue, on dressa 14 batteries; de plus, le sultan fit placer vis-à- vis de divers points importants des murs, douze canons de plus fort calibre, dont le plus grand était le fameux ca- non d'Urbain, lequel, avec deux autres, fut installé de- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 77 vant le quartier général. Par un coup de cette grosse pièce était donné, chaque matin, le signal de l'attaque ; mais, comme il fallait deux heures pour la charger, elle ne tirait que sept coups par jour, La première fois qu'elle tonna, les habitants de la ville furent saisis d'une terreur qui ne tut pas de longue durée, car, après un court ser- vice, le colosse éclata et tua plusieurs artilleurs, entre au- tres le fondeur Urbain. La déception éprouvée par. Mahomet ne l'empêcha pas de faire fondre une autre pièce de la même grosseur; et, dans cet intervalle, des instructions ayant été données, (on ignore par qui), à l'effet de prévenir un pareil accident, on prit le soin, après chaque coup tiré, de couvrir le canon avec des étoffes de laine et de verser de l'huile intérieu- rement. Toutefois, l'artillerie turque n'aurait pas produit de sé- rieux dommages aux murailles de la ville, si malheureu- sement un chrétien, et chose fort étrange, un chrétien ennemi, ne s'était chargé d'apprendre aux Turcs à mieux pointer leurs pièces. Voici le fait : pendant le siège, un ambassadeur de Jean Hunyade arriva au camp des Turcs, chargé de rompre le traité de paix qui avait été conclu depuis un an et demi et qui devait durer trois années ; le prétexte donné était que le jeune roi Ladislas ayant pris les rênes du gouvernement, lui Hunyade, ne pouvait plus garantir l'observation des engagements antérieurs. Cet ambassadeur, voyant le gros canon tirer toujours contre le même but, se moqua des artilleurs et dit au sultan qu'a- près le premier coup il fallait diriger le second et le troi- sième sur des points distants du premier de cinq à six toises, de manière à former un triangle. Alors, ajouta- t-il, tu verras comment sont renversées les murailles. Digitized by Google 78 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE En suivant ce conseil, le sultan atteignit enfin son but. Pour compléter la description du cercle de fer dans le- quel Mahomet enserrait la ville, nous devons aussi dire quelques mots sur la flotte. Les renseignements que nous avons à ce sujet sont aussi contradictoires que pour Tar- mée de terre. Tandis que les témoignages grecs et turcs portent le nombre des navires à environ quatre cents, dont trois cents vaisseaux de transport, et que Critobule, encore plus exagéré, prétend que les navires de guerre seuls, sans compter les vaisseaux de transport, s'éle- vaient au chiffre de trois cent cinquante, Barbaro, témoin oculaire, et qui nous semble en général assez exact dans ses récits, dit qu'en tout il y avait cent quarante-cinq bâ- timents, dont douze galères parfaitement armées et équi- pées, soixante-dix à quatre-vingts fustes, vingt à vingt- cinq parandaries, et le reste composé de brigantins. Pusculo se trouve d accord avec lui, comptant en tout cent soixante-dix navires. Mais quelle espèce de vais- seaux pouvaient bien être ceux qu'ils nomment fustes et parandaries? Nous ne saurions l'expliquer. Nous ferons remarquer seulement que, d'après Barbaro, le plus grand de ces bâtiments était de la portée de trois cents tonnes, qu'il était venu de Sinope, chargé de boulets en granit, de madriers et de diverses munitions de guerre. Quoi qu'il en soit, cette flotte fut la première force navale de quel- que valeur que les Turcs purent opposer. Elle avait pour chef un Bulgare renégat, Balta Oglou Suléyman Bey. Après avoir passé quelque temps sur la côte asiatique, elle vint jeter l'ancre à l'endroit nommé Diplokionion (au- jourd'hui Bessikhtach), pour surveiller d'un côté la Pro- pontide, d'où pouvaient parvenir des secours à la ville, de lautre le golfe de la Corne d'or, où se trouvait la flottille Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 79 grecque ; ce golte était fermé par cette chaîne qu'avaient rompue les croisés deux cent cinquante ans auparavant ; mais qui, pendant près de huit siècles, avait empêché les Arabes d'avancer, lorsque deux fois ils vinrent assiéger Constantinople. Quels étaient les moyens de défense que Constantin Paléologue avait à sa disposition et pouvait opposer à des forces aussi formidables? Les murs de Constantinople, principalement les murs du côté de la terre, depuis l'Hep- tapyrgion jusqu'aux Blachernes, pouvaient Être regardés, pour l'époque, comme très puissants : en cet endroit, Fenceinte était double. La muraille intérieure s' étendant sans interruption tout autour de la ville, depuis la mer de Marmara jusqu'à la Corne d'or, était fortifiée par cent douze tours; la muraille extérieure, un peu plus basse que l'autre, présentait également presque autant de tours bien défendues, s'interrompait entre le palais de THebdo- mon et Egri-Capou, et s'élevait de nouveau pour s'éten- dre jusqu'à la Corne d'or. Enfin, devant les murs exté- rieurs, il y avait un fossé, ouvert depuis THeptapyrgion jusqu'au palais de l'Hebdomon; il avait une largeur de 42 pieds et une profondeur de 12 à i5 pieds. Ce fossé, so- lidement revêtu de pierres de taille, était d'un ou de deux pieds plus élevé du côté de la ville que du côté de la cam- pagne. D'où l'on peut conclure que la partie la plus faible des murs, du côté de la terre, était celle qui se trouvait entre le palais de l'Hebdomon et Egri-Capou, puisqu'elle n'avait pour l'entourer ni seconde muraille ni fossé. De plus, ce terrain présentait le second désavantage d'avoir devant lui une colline d'où l'ennemi pouvait attaquer les assiégés. Aussi Constantin chercha-t-il à y remédier, du moins autant que faire se pouvait, en confiant au capitaine Digitized by Google 80 LA PRISE DE CONSTANTIN OPLE vénitien^ Aloisio Diedo^ le soin de faire creuser par ses équipages un fossé en cet endroit. Ce travail, commencé avec ardeur le 14 mars, fut achevé le 3i du même mois. Le même jour, comme les Turcs approchaient de la ville, Constantin alla en personne occuper la colline, afin que quelque corps ennemi ne vînt pas s y installer pour mo- lester de là les travailleurs. Il est vrçii que les deux au- tres côtés du triangle que formait Constantinople, c'est-à- dire depuis THeptapyrgion jusqu'à T Acropole (Saraï-bour- nou), et de l'Acropole jusqu'au troisième angle formé par le golfe de la Corne d'or, ne possédaient qu'une seule mu- raille, bastionnée également, mais sans fossé. Il était peu probable, pour diverses raisons inutiles à mentionner, que l'attaque se fît du côté de Marmara. Du côté de la Corne d'or, l'ennemi ne pouvait tenter l'assaut qu'après la destruction de la flotte grecque. Le plus grave désavantage de la défense était que cette immense éten- due de murailles exigeait la garde d'une armée nom- breuse, et il n'en existait point alors à Constantinople. Nous avons vu que les secours venus du dehors ne dé- passaient pas deux mille hommes ; quant aux forces indi- gènes, si nous admettons que Constantinople ne renfer- mait pas à cette époque beaucoup plus de quatre-vingt mille habitants, elles pouvaient se monter à une quinzaine de mille en état de combattre. Mais, outre qu'on n'a ja- mais vu tous les hommes valides d'un pays entrer dans l'armée active, beaucoup, croyant inévitable la chute de la ville, se refusaient à tout sacrifice, le considérant comme superflu. A la veille du siège, l'empereur avait donné l'ordre à tous les maires d'inscrire exactement tous ceux qui pouvaient et voulaient s'enrôler, tant laïques qu'ec- clésiastiques. Phranzès examina les listes pour communi- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 8l quer en secret à Constantin leur résultat total; et ce fidèle serviteur dut avouer, avec la plus vive douleur, que le nombre des inscrits ne s'élevait qu'à quatre mille neuf cent soixante-treize individus. Ainsi, toute l'armée qui avait mission de défendre ces longues murailles ne dépassait pas, tant en étrangers qu'en indigènes, le chiffre total de sept mille hommes ! De cette armée, trois mille hommes, dont cinq cents Génois, furent placés à la porte de Saint-Romain ; c'é- tait le point le plus exposé, parce qu'il se trouvait vis-à- vis du quartier général du sultan, et qu'il était battu par les projectiles du monstrueux canon; c'est ce qui a fait don- ner à cette porte le nom de Top-Capou, qu'elle garde en- core aujourd'hui. C'est là aussi, le 6 avril, c'est-à-dire le même jour que Mahomet, ayant établi son quartier géné- ral à Maltépé, annonça le commencement du siège, que Constantin de son côté, abandonnant son palais, se ren- dit pour rester et combattre avec ses troupes ; c'est là que pendant longtemps se distingua par sa bravoure Jean Giustiniani; c'est là, aux côtés de l'empereur, que son parent don Francesco Toletino, supporta avec résignation tous les malheurs du siège. En suivant l'enceinte à droite de la porte de Saint-Romain, et en arrivant à la porte nommée Charsia, qui existait alors et a été murée depuis, à l'endroit où s'éleva la tour appelée aujourd'hui Soulou- Koulé, nous trouvons posté Théodore Carysténos, homme d'une grande bravoure et très habile archer. La porte suivante Myriandros (Edirné Capou) était occupée par les trois frères Brozzardi ; le palais de l'Hebdomon et ses dé- pendances avaient été confiés à la garde de Jérôme Mi- noto, bayle de Venise ; il avait avec lui le plus grand nombre des négociants, ses compatriotes, qui prirent part 6 Digitized by Google 82 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE à la défense de la ville. Puis venait la partie de la cité qui n'avait qu'une simple muraille, et qui, de plus, pouvait être attaquée de la colline située en face et dominant la ville. Comme il était très probable que Tennemi cher- cherait en cet endroit à faire jouer la mine, on chargea de sa défense Jean Grant, habile ingénieur allemand. Au côté nord du triangle, depuis le Cynégion jusqu'à l'église de Saint -Démétrius, c'est-à-dire au quartier des Blachernes, près d'Eyoub, s'était placé le cardinal Isidore avec les 200 Romains et les habitants de Chio qu'il avait amenés avec lui. L'espace depuis la porte nommée Xylo- porta (Aïvan Saraï Capou), la plus septentrionale près de la Corne d'or, jusqu'à la porte Petria (Petri-Capou), était gardé par deux nobles Génois; de la porte Petria jusqu'à celle de Sainte-Théodosie (Balyk-bazar Capou), la majeure partie de la plage de la Corne d'or fut confiée au grand- duc Lucas Notaras, ayant sous ses ordres 100 cavaliers et 5 00 frondeurs et archers. Les matelots, les pilotes et les officiers d'une galère Cretoise occupèrent une tour près de la porte de l'arsenal (Bakhtché Capou), appelée tour de Basile, et la défendirent avec le plus grand courage. A la garde de la muraille regardant la mer de Marmara, depuis l'Acropole jusqu'à l'Heptapyrgion, on avait mis le prince ottoman Orkhan, l'Espagnol Pierre Juliano et le Vénitien Jacopo Contarini; mais, de ce côté surtout, la garnison était si clairsemée, qu'à chaque créneau à peine voyait-on un frondeur ou archer, et, selon Critobule, en divers en- droits, deux ou trois créneaux n'avaient qu'un seul défen- seur. Les combattants étaient plus nombreux aux autres portes donnant sur la campagne. De l'angle des Sept-Tours jusqu'à la porte Dorée, qui, de ce côté, se trouvait être la première regardant la plaine, tenaient garnison le Génois Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 83 Manuele et le Vénitien Contarini^ ayant sous leurs ordres 200 archers et frondeurs. Au Vénitien Fabrizio Cornero fut confiée la garde de la porte suivante (actuellement mu- rée), placée entre la porte n'existant pas alors des Sept- Tourset celle de Sélyvrie; à cette dernière, combattaient Théophile Paléologue, bien connu par sa profonde con- naissance des lettres grecques et des mathématiques, le Génois Maurizio Cataneo et le Vénitien Nicolas Mocenigo. La porte' qui s'appelle Yéni-Capou n'existait pas; par con- tre, entre celle de Yéni-Capou et la porte de Top-Capou, il y avait une porte qui, depuis, a été murée; elle était sous la garde du Vénitien Dolfino. Au centre de la ville, près de Téglise des Saints-Apôtres, s'étaient établis comme corps de réserve Démétrius Cantacuzène et son gendre Nicéphore Paléologue avec 700 hommes, dont la plupart étaient, croyons-nous, des moines, afin de porter secours à tout point trop vivement menacé. Enfin, la tour qui gardait l'entrée du port avait été confiée à Gabriel Trevisanb qui s'y était établi avec 5o soldats, et, selon Thonnête Phran- zès, « il gardait bien le poste confié à sa garde comme un berger, et non comme un simple mercenaire. » Nous devons confesser en toute justice que, vu les fai- bles ressources disponibles et les points vulnérables qu'il y avait à protéger, les mesures prises par l'empereur étaient aussi habiles que possible. Mais, en même temps, nous remarquerons, avec regret, que le nombre des chefs auxiliaires était, par rapport à celui de l'armée indigène, comme deux est à cinq, car on cite, parmi les chefs, 18 étrangers et seulement 8 indigènes. Cela advint, supposons- nous, parce que les Grecs se concentrèrent sur quelques points, et, de plus, parce que les officiers étrangers étaient plus expérimentés dans Tart de la défense des places. Néan- Digitized by Google 84 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE moins, si la partie technique de la défense fut spécialement l'œuvre des étrangers, Tâme au moins en fut réellement grecque; en effet, c'est incontestablement à la fermeté et à rhéroïsme de Constantin Paléologue qu'appartient l'hon- neur d'avoir résisté, pendant près de deux mois, avec 7,000 hommes, à tous les efforts de 160,000 combat- tants, et d'avoir rendu glorieuse la chute de la ville. Non-seulement le nombre de la garnison était tout à fait insuffisant, mais encore son équipement était, en partie, inférieur à celui de l'ennemi. L'armement des bastions et de l'armée consistait en un mélange d'armes anciennes et d'armes que venait d'inventer le moyen-âge. C'étaient des lances, des arcs, des frondes, du feu grégeois, de la poudre, des canons, ou plutôt des pétroboles, car nous avons vu que les boulets étaient de pierre et de faible por- tée; enfin de grosses et lourdes espingoles, lançant à la fois 5 ou 10 balles de plomb. L'armement des Turcs était de la même nature, mais leur artillerie était beaucoup plus nombreuse et plus puis- sante. Les chrétiens, par contre, savaient mieux se servir du feu grégeois qui, toutefois, ne pouvait empêcher l'effet destructeur des gros canons ottomans; et lorsque la brè- che fut ouverte d'une façon irrémédiable, le combat, forcé- ment, dut avoir lieu corps à corps, contre un ennemi a.u moins vingt fois supérieur en nombre. 11 est vrai que, parmi les chrétiens, il y avait des guerriers bardés de fer, c'est- à-dire couverts de casques, de cuirasses et d'autres armes défensives, tandis que les Turcs n'avaient que des armes offensives. Mais les chrétiens bardés de fer se trouvaient en fort petit nombre, et leurs cuirasses ne les défendaient pas absolument des blessures. Enfin, outre la grande dispro- portion entre le nombre des assiégeants et celui des as- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 85 sièges^ il y avait plusieurs autres causes qui devaient aider fatalement les plus nombreux à remporter la victoire. Sur la mer seulement les chrétiens avaient une incon- testable supériorité; non point qu'ils eussent beaucoup de vaisseaux : ils en comptaient vingt-six, dont seize auxiliai- res et dix nationaux ; mais à cause de leur grande supé- riorité dans la manœuvre. Ils en donnèrent des marques éclatantes qui réduisirent à l'impuissance le génie inventif et toute lactivité de Mahomet. En effet, les Turcs ayant été complètement défaits dans une seule bataille navale, leur flotte dans la suite ne put contribuer en rien à la prise de la ville. La flotte chrétienne était à l'ancre dans le golfe de la Corne d'or; et, dès le 2 avril, Constantin avait or- donné d'en fermer l'entrée avec la fameuse chaîne qui avait été tant de fois si utile. Cette chaîne était formée de grosses boules en bois, reliées entre' elles par de fortes barres de fer, et avait deux attaches, dont Tune était soli- dement fixée près de TArsenal (Bakhtché Capou), dans les murs de Constantinople, et l'autre à la rive opposée, dans les murs de Galata. Le 9 avril, les neuf plus gros vais- seaux chrétiens vinrent se ranger devant la chaîne, afin de mieux défendre l'entrée du golfe contre toute tentative de l'ennemi. Le commandement de cette escadre fut confié à un capitaine de la marine marchande, nommé Antonio; les autres navires restèrent au fond du golfe, et quelques petits bateaux furent submergés, parce que, n'étant d'au- cune utilité à la défense, ils pouvaient au contraire deve- nir dangereux pour le reste de la flotte, si par hasard l'en- nemi réussissait à y mettre le feu. Nous avons dit qu'un bout de la chaîne était fixé dans les murs de Galata, d'où il faut supposer que les Génois de ce faubourg se montrèrent disposés à participer à la dé- Digitized by Google 86 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE fense de la ville. De fait, ces étrangers, comprenant bien qu'après la chute de la capitale, il était impossible que Galata demeurât en leur possession, s'avisèrent d'un dou- ble jeu : ils promirent leur concours à Constantin, mais en réalité s'intéressant assez peu au sort général de la chré- tienté, ou plutôt surveillant et ménageant leurs petits inté- rêts particuliers, ils envoyèrent en même temps au sultan, avant même qu'il quittât Andrinople, une ambassade pour rassurer de leurs amicales dispositions envers lui et de leur grand désir d'observer scrupuleusement leurs an- ciennes conventions. Mahomet II fit bon accueil à ces en- voyés et demanda seulement qu'ils ne fournissent aux Grecs aucune assistance, les engageant à garder une neu- tralité absolue dans la guerre qu'il allait entreprendre. En laissant attacher la chaîne dans les murs de Galata, les Génois n'avaient pas iait preuve d'une complète neutra- lité; mais le sultan ne se montra pas trop méticuleux, à ce sujet, sachant qu'il pourrait autrement tirer profit des dis- positions versatiles de ces madrés trafiquants. Voilà quelles étaient les forces des deux partis. Cepen- dant le pape avait le courage de parler, encore de l'union religieuse entre l'Orient et l'Occident ; en ce moment même il continuait ses disputes avec ses évêques et son clergé, réunis à Bâle; les princes de l'Europe pensaient qu'il s'agis- sait d'affaires complètement étrangères à leurs intérêts; les Hongrois, les Albanais, les Péloponnésiens qui, durant les dix années précédentes, avaient combattu sans connexion, mais du moins avec bonne volonté, pour l'autonomie des chrétiens de l'Orient, restaient maintenant inactifs- A cette heure suprême, sur les rives du Bosphore un duel terrible et décisif allait se livrer entre Constantin Paléologue, abandonné.de tous, et le chef tout puissant des Ottomans. Digitized by Google CHAPITRE VI LE siège commença le 6 avrils mais, jusqu'au 20, il se borna à une simple canonnade contre l'enceinte du côté de la campagne, à quelques escarmouches près du fossé et des murs extérieurs , et aussi à une tentative d'assaut sur ce même point \ Le matin de ce jour pa- rurent, venant de la mer de Marmara , un grand navire de guerre hellénique et trois autres plus petits, génois et I. il est vrai que Critobule raconte de grandes et diverses choses survenues pendant cette période ; mais, d*après les récits que nous ont laissés des témoins oculaires, il est avéré qu*il place en ce moment des faits arrivés plus tard. Il est très surprenant que M. Murait, dans le 2* volume de sa Chronographie Byzan- tine, rapporte, comme ayant eu lieu le 8 avril, un assaut formidable dans lequel, selon lui, succombèrent 1.740 Xjrecs et 700 Latins et Arméniens, et périrent 18,000 Turcs. Il rapporte ce fait, non en s^appuyant sur les récits Je Barbaro ou même de Critobule, qu*il ne mentionne nullement, mais suivant des annalistes slaves qui ne méritent aucun crédit en cette circonstance. Par conséquent, nous aimons mieux suivre le récit de ceux qui vécurent le plus près de Tépoque où se passèrent ces événements, et nous donnons encore la préférence à ceux qui en ont été les témoins oculaires; et, d*après leurs données, nous pouvons assurer que, jusqu'au 20 avril, il n*y eut aucun fait de guerre digne d*étre men- tionné. Digitized by Google 88 LA PRISE DÉ CONSTANTINOPLE portant le pavillon grec. Ces vaisseaux étaient ceux que Tempereur avait envoyés se procurer diverses provisions et des vivres. Ayant été contraints, par suite de la persis- tance des vents du nord, à louvoyer longtemps sous Chios, ils n'avaient pu pénétrer dans THellespont qu'après rentier investissement de la ville; poussés ensuite par une forte brise du sud, ils en approchaient à pleines voiles. Dès qu'ils furent aperçus par la flotte turque, le sultan or- donna à son amiral de les attaquer avec toutes ses forces, de les capturer ou de les couler bas. Suléyman bey leva l'ancre avec 145 vaisseaux, et, vers les dix heures du ma- tin, rencontra les quatre galères près des murs de la ville, précisément entre le château actuel des Sept- Tours et les jardins de Blanca. A ce moment, le vent tomba, de sorte que les chrétiens perdirent leur plus grand avantage sur l'ennemi, c'est-à-dire leur supériorité dans la manœuvre des voiles et du gouvernail; nonobstant cela, ils se prépa- rèrent au combat. Les péripéties de ces quatre vaisseaux, entourés et assaillis par 145, devinrent d'autant plus dra- matiques qu'ils eurent pour spectateurs les deux armées ennemies, assemblées sur le rivage. Aux créneaux des murs sur la Propontide qui, d'habitude, avaient un si pe- tit nombre de défenseurs, accourut une foule immense, tous les nobles qui purent abandonner provisoirement leur poste de combat, et Constantin lui-même pour assis- ter à une bataille qui promettait d'être si émouvante. Plus au sud, sur le rivage, en dehors de Fenceinte, près du pro- montoire deZéiloun-bournou, à 1 5 minutes environ du châ- teau des Sept-Tours, affluèrent les Ottomans et le sultan lui-même, entouré de son nombreux état-major, voulant être témoin de la première victoire qui devait illustrer ses armes. Le ciel était pur et sans nuages, les cœurs des Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 89 spectateurs suivaient avec angoisse les différentes phases de la bataille. Au commencement, les vaisseaux chrétiens purent faire usage de leur artillerie; mais, peu après, Suléyman bey réussit à enfoncer Téperon de son vaisseau amiral dans la proue de la galère grecque, et plusieurs des plus grands navires turcs l'entourèrent complètement; en même temps d'autres navires ennemis assaillirent les trois galères génoi- ses et les serrèrent de si près qu'elles ne purent plus faire usage de leurs avirons. Alors le combat naval se changea en combat sur terre. Les Turcs cherchaient à mettre le feu aux flancs des vaisseaux chrétiens; quelques-uns, à coups de hache ou de sabre, s'efforçaient de les percer pour les faire couler bas, pendant qu'une partie des équi- pages avec des traits, de longues lances et à coups de . pierres, attaquait ceux qui défendaient le pont; d'autres enfin, saisissant les cordages, tâchaient d'aborder. Mais la défense n'était pas moins acharnée que l'atta- que ; les équipages se divisèrent en deux parties : les uns, montés dans la mâture et sur les tourelles en bois qui s'é- levaient près des mâts, combattaient de cette position; les autres défendaient le pont. Les premiers essayaient d'é- teindre l'incendie, lançaient de gros blocs de pierre sur les assaillants, jetaient de tous côtés sur les navires turcs des vases pleins de feu grégeois. Ceux qui défendaient le pont repoussaient à coups de lance, de hache et de mas- sue les Turcs qui tentaient l'escalade. Commandants et officiers, exposés aux plus grands dangers, encourageaient les matelots à sacrifier leur vie plutôt que de tomber vi- vants aux mains de l'ennemi. On remarqua surtout le ca- pitaine de la galère impériale, Phlantanelas, qui, parcou- rant son vaisseau en tous sens, ne cessa pas d'exciter, par Digitized by Google 90 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE son exemple et ses encouragements, la bravoure de ses matelots. Après trois heures d'un combat indécis, la victoire sem- bla pencher en faveur des chrétiens; les Turcs^ ayant perdu plusieurs navires incendiés et beaucoup de monde, commencèrent à donner des signes visibles de découra- gement. Les Grecs et les Génois, ayant comparativement moins souffert, continuaient de combattre avec la plus vive ardeur. Sur les murailles, la population faisait d'ardentes priè- res pour leur succès, tandis que, du milieu des Turcs, les injures et les imprécations succédaient aux acclamations et aux cris d'encouragement. Du rivage, Mahomet criait aux siens qu'ils étaient des poltrons et des lâches; et, subi- tement saisi d'une fureur irrésistible, il s'élança à cheval dans la mer, dont les eaux, à Zeitoun-bournou, sont assez basses jusqu'à une certaine distance, comme s'il eût voulu courir au secours de sa flotte ; ses généraux imitèrent son exemple. A cette vue, les Ottomans reprirent le combat, mais sans plus de succès. Obligée à une retraite définitive, la flotte turque revint à son mouillage de Bessikhtach. Vers le soir, Gabriel Trevisano et Zacharie Grioni allè- rent avec deux galères remorquer, en triomphe et au son des trompettes, les quatre vaisseaux chrétiens, jusque dans le port qu'ils refermèrent avec la chaîne. Phranzès qui assista à ce combat assure que les Turcs y perdirent plus de douze mille hommes; du côté des chrétiens, personne ne tut tué ; il y eut seulement quelques blessés,* dont trois moururent des suites de leurs blessu- res. Ce récit est à peu près confirmé par Barbaro qui en fut aussi témoin. Georges Dolfino en garantit formelle- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 9I ment l'exactitude, bien qu'il ne fût pas présent au siège ; mais il connut et entendit plusieurs personnes qui y avaient pris part. Néanmoins ces chiffres nous paraissent invrai- semblables ; car, si tant d'ennemis furent tués, pour quelle raison neuf grands vaisseaux qui se tenaient toujours prêts en deçà de la chaîne, n allèrent-ils pas se joindre aux vais- seaux combattants pour poursuivre la flotte turque et rendre sa ruine plus complète ? La défense que firent ces quatre vaisseaux, n'a nullement besoin d'exagérations pour être considérée comme un grand et admirable exploit maritime. Nous croyons également aussi peu véridique le récit de Critobule, prétendant que la flotte turque ne perdit qu'une centaine d'hommes et que le nombre de ses blessés ne dé- passa guère trois cents. — Critobule appartenait à cette race de Grecs qui, non-seulement acceptaient sans répu- gnance le joug musulman, mais, de plus, croyaient de leur devoir et utile à leurs intérêts de flatter le maître ; cette race d'hommes, malheureusement, subsiste encore de nos jours, et l'intérêt personnel est leur unique loi. — Il s'et- force donc, en toute occasion, d'atténuer les échecs de Mahomet II ; mais , comme il arrive d'habitude aux flatteurs, il nuit à la réputation de son héros, encore plus qu'il ne la sert. En effet, s'il était vrai que la flotte turque se fût retirée après avoir éprouvé une perte aussi insignifiante qu'il le prétend, la honte n'en serait évidem- ment que plus grande. Le fait est que de tout temps, les Chrétiens se montrèrent sur mer supérieurs aux Ottomans, et qu'en cette circonstance^ ils leur portèrent un coup très sensible; aussi les assiégés s'en réjouirent à bon droit et fêtèrent solennellement ce succès. Cependant Mahomet, qui n'était pas homme à se laisser facilement abattre, ne resta pas inactif. Le lendemain. Digitized by Google 92 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE avant midi, il parcourait au galop Bessikhtach à la tête de dix mille cavaliers, méditant de nombreux et importants projets. Il fit d abord venir devant lui Suléyman bey, à qui il reprocha son incapacité avec de sanglantes injures. En vain le malheureux chercha-t-il à Tapaiser en disant que^ comme il avait dû s'en assurer de ses propres yeux, Téperon de son vaisseau amiral n'avait pas cessé un ins- tant de rester attaché à la galère grecque; que, sur son vaisseau seul, cent quinze musulmans avaient perdu la vie; que ses autres navires, dont plusieurs avaient sombré avec leurs équipages, avaient aussi éprouvé de grands dommages, et qu'ayant fait tout ce qui était possible, il n'avait qu'à s'en remettre à sa miséricorde. Le sultan, inflexible, voulait le faire empaler. Néan- moins, cédant à l'intercession des pachas, il se contenta de le dégrader, de confisquer ses biens au profit des ja- nissaires et de lui faire appliquer cent coups de bâton. Ensuite il convoqua un conseil de guerre auquel il re- présenta qu'une attaque seule du côté de la terre ne lui paraissant pas suffisante, il était d'une absolue nécessité de pénétrer dans le port ; mais comment y parvenir, sur- tout après l'insuccès de la veille? Saisissant l'occasion de faire quelque chose en faveur des Grecs, le grand visir Khalil pacha émit l'avis qu'il serait plus avantageux au sultan de faire la paix avec l'empereur, en lui imposant un tribut de 70,000 ducats et en se réservant de nommer aux diverses fonctions de la ville. Mais, tous les religieux, Zaganos pacha et la plupart des généraux ayant insisté pour que le siège fût continué, la question de trouver le moyen de pénétrer dans le port revint avec plus de force. Sur ce sujet, les conseillers ne savaient que propo- ser ni que répondre; le sultan les laissa quelques instants Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS qS dans l'embarras, puis il frappa de surprise ces vieux guer- riers en leur disant qu'il avait formé le projet de transpor- ter par terre sa flotte dans le golfe de la Corne d'Or. En effets le sultan s'était déjà entendu avec les Génois de Galata, et avait appris de lun d'eux qu'il n'était pas impossible de faire traîner par terre ses navires. Dans l'antiquité, il y avait eu plusieurs exemples de ce fait, et en particulier à l'isthme de Corinthe, où avait même existé un chemin tracé dans ce but, appelé Diolcos, permettant de transporter les navires du golfe Saronique dans celui de Corinthe. Cela aussi avait été pratiqué plus d'une fois au moyen-âge, et l'amiral grec Nicétas Ooçyfas, en Tan- née 88 1, s'était servi de cette voie pour attaquer les Ara- bes qui dévastaient alors les côtes du Péloponnèse. Plus récemment encore, il y avait à peine une quinzaine d'an- nées, les Vénitiens avaient transporté par terre une flotte de r Adige sur le lac de Garde, à une distance de 240 mil- les environ, à travers un terrain escarpé et montagneux. Cette opération, la plus difficile de toutes celles du même genre, lut alors conduite par un Grec, le Cretois Sorvo- los, et exécutée dans l'espace de trois mois. En conséquence, le projet de Mahomet n'était pas im- praticable; il était même assez aisé en comparaison de ce- lui que nous venons de mentionner. Cependant, ce n'é- tait pas en une seule nuit, (comme le raconte la tradition), que l'on pouvait exécuter l'immense travail nécessaire pour le transport de tant de navires. Pour nous en con- vaincre, nous n'avons qu'à jeter un coup d'œil sur les lieux, et sur les travaux divers qu'exigea cette opération. Tout d'abord il fallut débarrasser de ses arbres et de ses broussailles un terrain inégal et d'une longueur de plus de 3, 5oo mètres, le couvrir de planches, assujéties Digitized by Google 94 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE des deux côtés, de distance en distance^ avec des pieux; enduire ces planches de suif et de graisse, faire enfin glis- ser sur le chemin ainsi préparé, soixante-douze bateaux, en commençant par les plus petits, à titre d'essai. Les équipages servaient en partie à traîner leurs navires; quelques matelots et officiers restaient à bord pour sur- veiller le gouvernail et la mâture; d'autres, s'accompa- gnant de tambours et de trompettes, chantaient un air marin pour régler et accélérer le travail commun. Ainsi, quelque grand qu'on veuille supposer le nombre des gens employés à cette manœuvre, nous persistons à trouver impossible, comme nous le démontrons du reste, que ce hardi projet ait été exécuté dans Tespace d'une nuit; nous croyons plutôt que Mahomet, conseillé, ainsi que nous le disons plus haut, par quelques Génois, avait fait à l'avance préparer et égaliser le terrain, sans que personne connût ou comprît le but de ce travail; qu'en même temps il avait fait réunir tout le matériel indispensable par ses amis, les Génois de Galata, qui l'aidèrent dans cette œuvre, afin que, pendant la nuit désignée, il ne restât qu'à poser les planches et à traîner les navires, opération encore longue et qu'il est étonnant de voir achevée en quelques heures. Grande fut leur stupeur et leur consternation quand, le matin du 22, les habitants de Gonstantinople virent à l'improviste ces vaisseaux ennemis à l'ancre dans le port intérieur; elle fut d'autant plus grande, que, la veille en- core, ils s'étaient livrés à toute la joie de la victoire navale du 20. Tout l'espoir qu'ils avaient mis dans la clôture du port, dans l'efficacité de la chaîne et dans les galères qui la gardaient, se trouvait en un moment anéanti; car ces moyens de défense ne pouvaient maintenant que résister Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS gS difficilement s'ils étaient attaqués de front par les autres navires turcs de Bessikhtach, et en arrière par ceux qui venaient d'être transportés dans le port. Dans le cas même où cette éventualité ne se présenterait pas, Ten- nemi, en partie maître du port, avait la facilité d'attaquer l'enceinte qui était plus faible de ce côté, et d'obliger ainsi les assiégés à se porter à la défense de ce point menacé, en réduisant encore la trop faible garnison des murs re- gardant la campagne. Aucun de ces dangers ne devait se présenter. Les navi- res turcs, transportés dans le port, n'osèrent ni attaquer les vaisseaux chrétiens, ni essayer rien de sérieux contre les murs, peut-être parce qu'ils manquaient de grosse ar- tillerie. Mais les assiégés, au premier moment de leur sur- prise, devaient naturellement s'attendre à tout. Enfin, après avoir réfléchi sur ce qu'il convenait de faire, ils déci- dèrent de tenter d'incendier la flotte turque, et confièrent l'exécution de cette entreprise au capitaine vénitien Jacopo Cocco. Le 24 avril, deux gros navires, chacun de la contenance d'environ 5oo tonneaux, furent recouverts extérieurement de sacs remplis de coton ou de laine, afin de les préser- ver des projectiles de l'ennemi. Ces navires devaient être suivis par deux brigantins pleins de poix, de poudre, de feu grégeois et d'autres matières inflammables, par d'autres galères plus petites et par un grand nombre de chaloupes, les unes devant remorquer les gros navires, les autres destinées à sauver et à recevoir les équipages des deux brûlots. Les brûlots étaient donc connus, dès cette époque, dans les eaux grecques, et étaient presque absolument semblables à ceux dont les Hellènes firent usage durant la guerre de 1 82 1 . Digitized by Google gÔ LA PRISE DE CONSTANTINOPLE 11 fut convenu que tout devait être prêt pour la nuit de ce même jour; et^ vers minuit^ on avait arrêté de mettre le feu aux navires ennemis : si le projet eût été exécuté im- médiatement, il est à peu près certain que sa réussite au- rait été complète. Par malheur, les Génois de Galata ap- prirent ce qui se préparait : commerçants sans conscience, ils conservaient des rapports réguliers avec les Turcs, à qui ils fournissaient tout ce dont ils avaient besoin, en particulier Thuile nécessaire à leurs canons, et néanmoins ils servaient en même temps dans Farmée grecque. En conséquence, dès qu'ils aperçurent les préparatifs, ils al- lèrent trouver le commandant du port, Aloisio Diedo, et lui conseillèrent de remettre l'exécution de ce projet à la nuit suivante pour pouvoir, disaient-ils, y participer également. Par malheur, Diedo accéda sans méfiance à ce perfide conseil qui donna le temps au podestat de Galata d'informer le sultan. Mahomet mit aussitôt sa flotte en meil- leur état de défense, en y faisant passer un certain nombre de ses archers et frondeurs d'élite avec quatre canons. Pour quelle autre raison ce projet fut-il encore différé jus- qu'au 28 avril? Nous l'ignorons; mais, ce jour-là, deux heures après le coucher du soleil, la flottille avec les brûlots se mit en mouvement. D'après ce qui avait été convenu, les deux navires ma- telassés avec du coton et de la laine devaient commencer l'attaque. Mais Cocco, qui montait une des petites galères et avait l'ambition de conquérir à lui seul tout l'honneur de l'entreprise, ou qui était, comme dit Dolfino, c avide d'honneur et de gloire, > se hâta de se jeter le premier au milieu de la- flotte ennemie. Les Turcs, étant sur leurs gardes, firent feu sur lui, et, en un clin d'œil, la galère coula avec tout son équipage, composé de 18 officiers et Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 97 soldats et de 72 marins, dont la majeure partie se noya et dont le reste fut fait prisonnier. Les autres navires véni- tiens^ ne pouvant distinguer ce qui se passait à cause de la fumée et de l'obscurité de la nuit^ et continuant d'avan- cer, reçurent une nouvelle décharge qui frappa dans les œuvres vives la galère de Trevisano; elle aurait infailli- blement sombré si, changeant de direction, elle n'était parvenue à temps à se réfugier dans le port et à sauver ainsi son équipage. Après ce nouveau malheur^ on prit la résolution de se retirer; la retraite se fit sans difficultés pour les bateaux légers. Mais les deux gros vaisseaux, de- venus peu maniables à cause de leur cuirasse, durent sou- tenir^ pendant plus d'une heure et demie, un terrible com- bat contre toute l'escadre turque; enfin, ils réussirent également à se réfugier dans le port, et les Turcs retour- nèrent à leur station. Le lendemain, le sultan fit mettre à mort d'une façon cruelle ses prisonniers en face des défenseurs de la ville. A titre de représailles, Constantin fit immédiatement périr 260 prisonniers turcs sur les rem- parts et en vue des assiégeants. L'insuccès de cette entreprise, surtout la perte de tant d'hommes courageux, aggravèrent la situation des assié- gés; et, comme il arrive le plus souvent en pareilles circon- stances, des querelles violentes et passionnées éclatèrent entre les Vénitiens et les Génois : les premiers reprochaient aux seconds que l'opération eût été dévoilée à l'ennemi par la trahison de leurs compatriotes; ceux-ci, par contre, attri- buaient l'échec à l'incapacité de Cocco. L'empereur, rem- pli de tristesse, parvint avec beaucoup de peine à apaiser les deux adversaires en leur disant : c Je vous en prie, frères, cessez ces querelles; nous avons bien assez de la guerre extérieure; pour l'amour de Dieu, ne créons pas Digitized by Google 98 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE une guerre intestine, » Cependant le découragement aug- mentait et diverses autres circonstances fortuites produi- sirent'de nombreux embarras. Jusqu'à la fin d'avril, la guerre avait été plus vive sur mer que sur terre : le sultan tenait toujours à combiner Tattaque par mer avec celle de son armée par terre; en outre, sur terre il espérait beaucoup des effets de son monstrueux canon, qui, ayant éclaté à cette épo- que, devait être refondu. En conséquence, il y avait seulement de fréquentes escarmouches près des mu- railles et du fossé, dans lesquelles les Turcs perdaient bien plus de monde que les chrétiens, sans toutefois que ces combats produisissent quelque résultat important. L'artillerie continuait son œuvre destructive contre l'en- ceinte et les tours, et les murs extérieurs, particulière- ment, en souffraient beaucoup; mais les dégâts étaient facilement réparés. t)ans ces derniers jours, il n'y avait pas eu d'escarmouche. On s'était borné à quelques salves d'artillerie, et, de temps à autre, avait eu lieu un feu de ti- railleurs. Par suite, beaucoup de défenseurs avaient cru pouvoir abandonner leur poste sur les remparts et se rendre auprès de leurs familles. Profitant de cette ab- sence, les Turcs s'approchèrent et tirèrent à eux avec de longues perches armées de crochets les sacs remplis de terre qui étaient placés sur les murs pour préserver les combattants. Les sacs furent aussitôt remplacés; et Gius- tiniani ayant averti l'empereur de ce qui se passait, celui- ci en fit de vifs reproches aux déserteurs; ces derniers répondirent qu'ils avaient quitté leur poste parce qu'eux- mêmes et leurs familles manquaient de vivres et se trou- vaient dénués de tout. 11 faut donc supposer que les vivres commençaient à Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 99 devenir rares dans la ville, et que le pain et le vin surtout faisaient défaut : ce n'était pas une réelle disette, puis- que l'empereur, avons-nous dit, avait pris à temps les mesures nécessaires pour amasser diverses provisions et des vivres qui n'avaient pu être consommés dans l'espace d'un mois; d'ailleurs il y avait à peine quelques jours que la galère impériale et les trois vaisseaux génois en avaient encore apporté ; enfin le siège se prolongea plus d'un mois, sans que nous sachions que personne ait souffert de la faim; mais, comme il arrive, beaucoup de monde avait caché des provisions, afin de les. vendre en- suite plus cher. Dolfino, qui rapporte le fait, reproche à l'empereur, avec juste raison, la trop grande bonté qu'il montra en ne sévissant pas contre des actes aussi blâma- bles qui causèrent beaucoup de mal, surtout en des cir- constances si critiques. Toutefois il dut plus tard faire preuve de quelque sévérité contre .les factieux; et, si nous comprenons bien les renseignements assez obscurs des annalistes, il donna l'ordre de distribuer régulièrement les vivres non-seulement aux soldats qui gardaient les remparts, mais aussi à leurs familles; certainement aux frais de l'État, et suivant un tarif fixé. C'est ainsi qu'on remédia au mal. MaiSy dans le même temps, le trésor public, qui devait pourvoira la solde des troupes auxiliaires et aux autres besoins de l'armée, se trouva complètement vide et sans nul moyen de trouver de nouvelles ressources. En vain l'empereur s'adressa aux plus riches des nobles et des courtisans, leur demandant leur concours. Ces hommes osèrent se dire pauvres, tandis qu'après la prise de la ville les Turcs trouvèrent de grandes richesses dans beaucoup 'de maisons. Constantin se vit alors dans la nécessité de Digitized by Google lOO LA PRISE DE CONSTANTINOPLE porter la main sur les vases sacrés des églises et de faire fondre à la monnaie les métaux précieux qu'il en tira. Les Turcs perdaient, il est vrai, beaucoup de monde, incontestablement plus que les chrétiens. Dans le combat naval du 20 avril et dans les divers combats livrés devant les murailles^ ils avaient éprouvé des pertes sensibles : au rempart, venant en nombre pour relever leurs hommes tués ou blessés, ils le faisaient avec tant d'indif- férence pour leur propre sûreté que, dans le même temps qu'ils emportaient un mort, il en tombait dix autres sur le champ de bataille. Leurs pertes cependant étaient vite ré- parées par la fréquente arrivée de nouveaux renforts venant de TAsie. t Les nôtres, dit Phranzès, diminuaient et s'af- faiblissaient comme la lumière de la lune dans sa décrois- sance par suite des morts journalières. > — « La mort d un seul des nôtres, ajoute Dolfino, équivaut à la des- truction de cent ennemis. > A toutes ces causes nous devons ajouter les difficultés provenant des disputes religieuses et de la superstition, alors commune aux Grecs comme aux Latins : sous l'em- pire de ce sentiment on était facilement ému par les plus simples phénomènes naturels ou par des accidents, qui, dans les circonstances normales, auraient passé presque ina- perçus, — tels que des éclairs, des coups de tonnerre, la grêle, une éclipse de lune, la chute de saintes images et d'autres faits de ce genre; — nous pouvons aisément com- prendre que des gens profitant de pareils événements sus- citassent des troubles et du tumulte dans la cité. Pendant que l'empereur, accompagné de Francesco Toletino et de Phranzès, parcourait à cheval^ nuit et jour, les divers quartiers de la ville et les murs, donnant les ordres néces- saires et surveillant leur exécution ; pendant que Thabite Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS lOI général Giustiniani^ les héroïques frères Brozzardi, le vieux mais vigoureux Carysteno, le savant et généreux Théophile Paléologue et tant d'autres Grecs et étrangers^ tantôt à cheval, tantôt à pied, tantôt sur TofFensive, tan- tôt sur la défensive,. tantôt pointant les canons, tantôt ré- parant les brèches produites par le feu de Tennemi, et toujours résolus à défendre le poste confié à leur valeur, acquéraient une gloire immortelle, quelques démagogues bruyants et bavards, entièrement inutiles à la défense et ne s'exposant à aucun danger, parcouraient les rues et les places publiques, injuriant Tempereur et ses assistants. Mais lui, quand il apprenait ces propos ou qu'il lui arri- vait de les entendre lui-même, ne daignait pas y faire at- tention et continuait simplement de remplir son devoir. C'est une bien triste, mais indéniable vérité, que les dé- fenseurs d'une nation s'efforcent souvent de la sauver sans elle et quelquefois contre elle. Telle était la situation vers la fin d'avril; mais, pendant les premiers jours du mois de mai, le sultan donna plus de soins à l'attaque de la ville par mer que par terre, bien que rien d'intéressant ne fût alors tenté. M. Mordt- mann se trompe, croyons-nous, en disant que le 4 mai un second essai fut tenté sous les ordres de Giustiniani, pour incendier la flotte turque qui était dans le port. Cette nou- velle tentative n'est pas mentionnée par les historiens qui prirent part à la défense de Constantinople. Ducas ne parle que d'une seule tentative, évidemment celle que nous avons racontée, et de laquelle Dolfino dit formelle- ment que le chef était Jean Giustiniani. De fait, il est certain qu'après l'insuccès de cette seule et unique tentative, les chrétiens ne prirent aucune autre mesure, si ce n'est de placer deux canons sur la plage de Digitized by Google 109 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE la Corne d or^ pour tenir à distance les navires ottomans. Ceux-ci, par contre, lançaient leurs projectiles contre les murs du côté de la mer; mais les boulets, tirés à une trop grande distance et par des pièces de faible portée, ne produisaient pas grand dommage. Les assiégeants établi- rent alors de gros canons sur la colline près de Galata, et de là tirèrent sur les galères chrétiennes qui défendaient la chaîne. Le résultat en fut assez insignifiant; car, après avoir perdu quelques matelots, les chrétiens changèrent leur position et furent à Tabri de cette batterie. Les Turcs ne nuisirent alors qu'aux intérêts de leurs amis, les Gé- nois de Galata, car ils coulèrent bas une de leurs galè- res portant une cargaison de la valeur de 12,000 ducats; Plus tard, ils transportèrent leur grosse artillerie au vil- lage actuel de Haskioï pour pouvoir battre le Cynégion, situé à la partie septentrionale de la ville, mais ils n'y pu- rent causer presque aucun dommage. Ils se décidèrent, à la fin, à porter leurs canons devant la porte de Saint-Ro- main, afin de renfoncer les batteries qu'ils avaient déjà sur ce point. C'est de là, en effet, que devaient partir les prin- cipales attaques, et, le 7 mai, eut lieu le premier assaut important. Vers onze heures du soir, trente mille Ottomans s'é- lancèrent avec un si grand tumulte que les assiégés s'ima- ginèrent alors qu'il s'agissait d'un assaut général par terre et par mer, et se préparèrent partout à recevoir l'ennemi. Mais la flotte turque ne quitta pas son poste ; l'attaque par terre fut repoussée avec de graves pertes du côté des as- saillants, et les dégâts causés aux murs furent facilement réparés. De nouveau, le 12 mai, vers minuit, cinquante mille hommes tentèrent l'assaut contre la ville, près de l'Hebdomon; ils furent également repoussés avec perte. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS I03 II faut remarquer que la flotte turque ne bougea pas en cette circonstance; peu de jours après toutefois, le i6 et le 17, une partie des navires ancrés à Bessikhtach s'ap- prochèrent à plusieurs reprises de la chaîne ; mais, fou- droyés par les vaisseaux chrétiens qui la protégeaient, ils (lurent chaque fois reculer en toute hâte. Le 21, toute la flotte de Bessikhtach appareilla, au son des trompettes et des tambours, pour attaquer les vaisseaux chrétiens, mais toujours sans résultat. Il était évident que, malgré toutes ces tentatives par mer, le sultan avait peu de confiance dans sa marine et qu'il espérait surtout réussir par ses forces de terre; aussi larmée absorbait principalement son attention. Six jours après le second assaut, c'est-à-dire le matin du 18 mai, les défenseurs de ia porte Charsia, où com- mandait Carysténos, virent, à leur extrême surprise, se dresser devant eux, à la distance de dix pas seulement du fossé^ une immense construction en bois recouverte de peaux de chameaux, de buffles et de bœufs. La partie opposée était ouverte, pour que les soldats pussent aisé- ment y pénétrer; la partie exposée aux remparts était re- couverte comme nous le disons ; elle avait des ouvertures abritées et trois grandes portes également couvertes et protégées, qui permettaient à ses défenseurs de faire des sorties et de se retirer hors de toute atteinte. Dans cette tour, on avait amassé un nombreux matériel , du bois, des fascines, de la terre, qui devaient servir à combler le fossé; elle était munie d'échelles pour faciliter les com- munications des soldats avec les divers étages et approvisionnée de toutes sortes d'armes, de fusils et de tubes disposés pour lancer le feu grégeois. Tout cela était d'autant plus dangereux, que cette grande Digitized by Google I04 LA PRISE DE CONSTANT! NOPLE tour était plus haute que la muraille extérieure \ L'attaque qui partait de cette tour, commencée le ma- tin et continuant avec acharnement toute la journée, causa de très graves dommages aux murailles, et détruisit une des tours près de la porte Charsia. Alors l'ennemi, ayant rempli en partie le fossé, appliqua les échelles et essaya d'escalader les murs; mais les soldats de Carysténos, au secours desquels était accouru l'empereur dès le matin, se défendirent avec la plus grande valeur, frappant les assail- lants, renversant ceux qui étaient sur les échelles, brisant les échelles elles-mêmes, et résistant ainsi jusqu'à la nuit qui força les Turcs à cesser le combat. Les Grecs, crai- gnant beaucoup que cette attaque de la tour, reprise le lendemain, ne leur devînt fatale, ne passèrent pas la nuit dans rinaction : sous la surveillance de Giustiniani et en présence de Constantin, ils déblayèrent le fossé, réparè- rent la brèche le mieux qu'ils purent et enfin réussirent à réduire en cendres cette grande tour en bois, détruisant en une seule nuit le travail d'une seule nuit. Le sultan, étonné de l'habileté de l'ennemi, s'écria que si les 37,000 prophè- tes lui avaient dit que les infidèles pouvaient exécuter ce qu'ils venaient de faire, il n'aurait pu les croire. Cela ne l'enipécha pas de s'occuper avec la plus grande activité de ses projets et d'inventer de nouveaux expédients tant sur terre que sur mer, tenant toujours à son idée de combiner l'attaque générale des deux côtés. Aussi acheva- t. Barbaro assure qu^elle fut construite dans Tespace d*une nuit, et même en quatre heures seulement, ajoutant que tous les chrétiens de Constantinople au- raient pu difficilement, dans Tespace d'un mois entier, construire un pareil ou- vrage. Mais très probablement, il en fut pour le cas présent comme pour le transport des navires turcs : les diverses pièces de la tour avaient été préparées d'avance, ainsi que tout autre matériel, et, durant la nuit, on n'eut qu'à apporter sur place et à ajuster les différentes parties. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS I05 t-il, ces jours-là^ un autre grand ouvrage commencé depuis quelque temps déjà, le pont jeté sur le golfe de la Corne d'Or pour relier Haskioï avec la rive opposée, afin de pou- voir attaquer les murs de la ville regardant la mer. Après avoir employé la terre comme un élément liquide pour transporter ses navires, il voulut transformer la mer en plancher solide pour y faire passer des troupes et de l'ar- tillerie. A cet effet, il rassembla beaucoup de petits ba- teaux, de grands récipients et une grande quantité de jarres en bois, probablement fournis par les Génois de Gala ta; il les réunit et les consolida à laide de madriers, de crampons en fer et de cordes; puis, sur ces bateaux et ces récipients, il posa des planches fixées solidement avec des clous de manière à former un pont ayant une largeur suffisante pour livrer passage à un canon avec les artil- leurs nécessaires. Après cela, il commença d'attaquer, de concert avec sa flotte, la muraille du côté de la mer, mais toujours à distance et obliquement. Sa tentative, faite vers la mi-mai, d'ouvrir une brèche par la mine dans les murs du côté de la campagne, fut plus sérieuse. Ces essais furent tentés près de la porte Ca- ligaria, c'est-à-dire à Tendroit où Tenceinte ne présentait qu'une simple muraille ; en avant s'élevait une col- line qui cachait et protégeait les ouvriers. En ce lieu, comme nous Pavons dit, avait été placé l'habile ingénieur allemand Jean Grant; car il était aisé de prévoir, dès le principe, que là devait se livrer de préférence la lutte sou- terraine. En effet, le i5 mai, on découvrit la première mine qui dépassait déjà les fondations du mur; sa lon- gueur était d'un demi-mille. Grant ouvrit aussitôt une contre-mine, et, avec l'aide des gens que lui envoya Lu- cas Notaras, il rencontra la mine, en brûla les supports et Digitized by Google I06 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE tua les travailleurs, soit sous la masse des terres écrou- lées, soit par le feu et la fumée. Le 21 mai, une autre mine fut découverte ; on travailla à la contre-mine et les adversaires s' étant rencontrés, on se battit sous terre avec diverses matières inflammables; les Turcs furent chassés. Le lendemain, on découvrit encore deux mines qui furent détruites; dans Tune périt la majeure partie des travail- leurs, et, dans l'autre, tous furent tués sans exception. De plus, le 23, le 24 et le 25, on trouva et on bouleversa diverses mines près de la porte Caligaria. Alors cessa le combat souterrain, peut-être parce que les TurcsL virent qu'il n'amenait aucun résultat. Mais, quelque habileté, quelque bravoure que montras- sent les assiégés dans la défense, il n'est pas moins vrai que, tous les jours, ils se trouvaient serrés de plus près : les murs, en quelques endroits, avaient été abattus et quatre tours détruites; les réparations improvisées ne pouvaient longtemps résister; la grosse artillerie et surtout le gros canon continuaient sans relâche leur œuvre de destruc- tion. Le sultan, inspectant fréquemment l'enceinte avec les janissaires qui formaient la meilleure partie de son ar- mée, leur demandait s'ils trouvaient la brèche suffisam- ment ouverte; et, lorsque ceux-ci faisaient observer qu'il fallait encore abattre telle ou telle partie des murailles, il ordonnait aussitôt de diriger le feu des batteries contre l'endroit désigné. Constantinople ne conservait plus même une ombre d'espoir d'être secourue de nulle part. Le 3 mai, Cons- tantin avait expédié un vaisseau fin voilier à la recherche delà flotte vénitienne; mais il revint le 23, annonçant qu'il était parvenu jusqu'à l'extrémité de la mer Egée sans ren- contrer même une trace de cette assistance, dont on faisait Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS IO7 grand bruit depuis si longtemps. Après s'être convaincu de l'inutilité d'une plus longue recherche, l'équipage tint conseil et se demanda s'il devait retourner à Constantino- pie. Un seul homme émit l'avis qu'il était inutile d'y re- tourner, puisque, à leur départ, la chute de la ville parais- sait imminente; mais tous les autres, obéissant à la voix du devoir et de Thonneur, repoussèrent cette opinion et regagnèrent la ville réduite aux abois. Le retour du vais- seau ne s'effectua pas sans danger; car, les navires turcs de Bessikhtacb l'ayant aperçu, plusieurs lui donnèrent la chasse; ils arrivèrent heureusement trop tard, le navire grec réussit à s'approcher de la chaîne et à se réfugier dans le port. La perplexité des chrétiens augmentait donc de jour en jour, alors que l'assaut général et définitif était tout proche. Cependant Mahomet, avant d'en donner l'ordre, jugea bon de recueillir encore quelques informations plus positives sur ce qui se passait dans la ville et sur les dis- positions présentes de l'empereur. Dans ce but, il lui dé- pêcha son parent, Sultan-Ismaïl-Hamza, fils d'Isphendiar Khan, avec mission de lui demander s'il voulait livrer la ville. C'est, du moins, ce que disent Ducas, Chalcocon- dyle, Léonard de Chios et HaïrouUah ; Phranzès, Barbaro, Dolfinoet Pusculo gardent là-dessus un silence complet; selon Critobule, la proposition de livrer la ville fut faite avant le commencement du siège et non à la veille du dernier assaut. Cependant le fait, comme il est exposé par les premiers historiensj nous paraît tellement vraisem- blable, qu'étant surtout mentionné par le témoin oculaire Léonard, nous ne voyons pas de motif de ne pas y ajou- ter foi. Nous devons pourtant dire que, sur certains points, ces historiens diffèrent dans leurs récits : HaïrouUah met Digitized by Google I08 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE dans la bouche de l'empereur des paroles indignes de son caractère; Chalcocondyle prétend qu'Ismaïl-Hamza vint pour presser l'empereur d'envoyer une ambassade au sultan, afin de traiter la paix, et que l'empereur en en- voya une en effet. Mais, comme Thistorien musulman est peu digne de créance, parce qu'il cherche de parti pris à rabaisser le caractère de Constantin, et qu'au fond Chal- cocondyle se trouve d'accord avec les deux autres histo- riens, nous allons exposer cet incident en suivant princi- palement le récit de Ducas, qui nous paraît souvent plus digne de confiance que les autres. Ismaïl-Hamza, s' étant présenté à l'empereur, lui dit : € Sache que tout a été préparé pour l'assaut général que nous allons maintenant livrer, en laissant la réussite à la grâce de Dieu ; que penses-tu ? Veux-tu quitter la ville et te retirer où bon te semblera avec les tiens? Vous empor- terez tous vos biens, et le peuple n'aura rien à souffrir de notre part, ni de la vôtre. Mais, si tu persistes à te défendre, cette lutte coûtera à toi et aux tiens non- seulement la perte de vos biens, mais même la vie; tan- dis que le reste des habitants tombera dans l'esclavage et sera dispersé par toute la terre. > Après avoir consulté le sénat, Constantin lui répondit : « Si tu désires vivre avec nous en paix, comme l'ont fait tes ancêtres, j'en rendrai grâces à Dieu. Eux regardaient et honoraient mes parents comme leurs propres pères, et considéraient cette cité comme leur propre patrie. Dans les moments difficiles, ils y trouvaient un asile sûr, et nul de ceux qui nous ont été contraires n'a vécu longtemps. Conserve aussi comme une légitime propriété le pays et les villes que vous venez injustement de nous enlever. Fixe, d'après nos ressour- ces, un tribut annuel que nous vous payerons, et va en Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS lOQ paix. Ne sais-tu pas, en effet, qu'en pensant devoir gagner plus^ tu peux te trouver avoir perdu davantage? Pour ce qui est de te livrer la ville, cela n est ni en n^on pouvoir ni au pouvoir d'aucun de ses habitants, car, d'un commun accord, nous nous sommes décidés, de notre plein gré, à combattre jusqu'à la mort sans aucun souci de notre vie. » Cet exposé deDucas est d'autant plus croyable, qu'il se trouve bien en rapport avec la dignité ferme et modeste du caractère que Constantin montra durant toute son exis- tence, faisant toujours ce qu'il devait et ce qui était dans la mesure de ses torces, et subissant avec résignation ce qu'il ne pouvait empêcher. A la suite de cette ambassade, le sultan apprit-il d'autres détails sur ce qui se passait à Constantinople? Nous l'igno- rons. Mais ce ne fut qu'après la chute de la ville qu'il connut combien était petit le nombre de ses défenseurs; car, au camp ottoman, on pensait toujours que les com- battants chrétiens étaient au moins 5o,ooo, ainsi que Ducas en fut plus tard informé par diverses personnes. Cette discrétion absolue sur une question d'une si haute importance, vient encore corroborer la vérité que pas un des habitants n'eut l'idée de trahir son pays, bien que la majeure partie n'ait point rempli son devoir, et qu'elle n'ait épargné à son souverain aucune sorte de déboire et d'amertume. Quant aux historiens et aux publicistes de l'Occident, dont quelques-uns n'ont cessé d'entasser tant d'injures et de railleries contre cette malheureuse popu- lation, il nous semble que l'équité ne leur devrait pas permettre d'oublier que les habitants de Constantinople eurent au moins cette vertu : la fidélité, lorsqu'un grand nombre de gens qui se disaient chrétiens, tels que des Italiens, des Allemands, des Hongrois, des Bohèmes, des Digitized by Google no LA PRISE DE CONSTANTINOPLE Serbes et des aventuriers appartenant à d'autres nationa- lités, servirent les musulmans dans ce combat suprême contre la chrétienté. Ni la ferme réponse de Constantin^ ni la rumeur alors répandue^ on ne sait comment, que la flotte vénitienne approchait et qu'une armée hongroise était en marche, ne purent ébranler la volonté inflexible du sultan. Ayant con- voqué à un dernier conseil ses plus anciens et ses plus il- lustres généraux, il leur demanda ce qu'il fallait faire. Le grand visir Khalit pacha parla de nouveau avec chaleur en faveur de la paix et de la levée du siège, présentant comme imminente Tapparition d'une flotte italienne et d'une armée hongroise ; il ajoutait que, depuis plus de sept semaines qu'ils assiégeaient la ville avec une si nombreuse armée et une si forte artillerie, ils n'avaient rien gagné, et que, toutes les fois qu'ils avaient tenté l'assaut, ils avaient été repoussés avec de grandes pertes. Mais son rival, Zaga- nos pacha, répliqua qu'il ne croyait à l'arrivée d'aucune espèce de secours important, c parce que les princes de l'Europe, étant toujours d'opinions et d'intérêts opposés, disent et décident beaucoup de choses, mais agissent et en exécutent fort peu ; qu'ils sont plus occupés à comploter les uns contre les autres qu'à travailler d'un commun ac- cord à un intérêt général, ce qui rend toute entente factice et éphémère; enfin, que, si par hasard quelque assistance arrivait aux Grecs, il serait inutile de s'en préoccuper, at- tendu qu'elle n'atteindrait ni à la moitié ni même au quart des forces turques. Quant aux échecs que nous venons d'éprouver, ajouta-t-il, ils doivent être attribués à ce que les brèches n'étaient pas suffisamment ouvertes; mais aussitôt que les murs seront abattus davantage, la prise de la ville deviendra certaine, vu le nombre de nos Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS I 1 1 soldats et le courage de Tarmée ottomane. » Il termina son discours en émettant Tavis qu'il fallait donner sans retard lassaut général ou qu'on pouvait tout au plus le re- mettre à deux ou trois jours, pour battre encore un peu les murailles avec la grosse artillerie. Cette opinion de Zaganos pacha, mentionnée par Phranzès, témoigne com- bien sainement les généraux ottomans jugeaient la situa- tion^ et surtout à quel point ils étaient au courant de la politique de l'Europe. Les autres ministres et généraux donnèrent le même avis, ainsi que le vieux Fourakhan, que Dolfino, à cette occasion, dit être d'origine grecque. Mais le sultan, quoique n'ayant nullement l'intention de changer d'idée, se hâtait lentement pour prendre une dernière détermination; et, selon son habitude, il ne fit pas encore connaître ce qu'il avait définitivement arrêté. 11 manda auprès de lui Zaganos pacha et lui ordonna de parcourir le camp cette nuit même, pour bien s'enquérir de la pensée des soldats. Celui-ci, après avoir rempli sa mission, assura le sultan que l'opinion de toute l'armée pouvait être résumée dans ces simples mots : t Combat- tons avec confiance, et la victoire est à nous. » Mahomet, cependant, ne s'en montra pas entièrement satisfait. Il voulut spécialement connaître Topinion de ses janissaires, qui gardaient son quartier général; il con- voqua tous les officiers de ce corps d'élite et leur rap- pela, en peu de mots, que, toutes les fois qu'il leur avait demandé s'ils croyaient pouvoir se rendre maîtres de la ville, ils lui avaient répondu oui, pourvu que les murs en soient détruits; qu'il les avait alors menés autour de l'en- ceinte et leur avait demandé s'ils trouvaient les brèches suffisantes ; et que, lorsqu'ils avaient fait l'observation que tel ou tel endroit devait être abattu, il l'avait été. « A pré- Digitized by Google J 112 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE ^nt, ajouta-t-il, le moment de l'assaut général est arrivé. Celui qui montera le premier aux murailles sera fait gou- verneur d'une des plus belles provinces de l'Asie et de l'Europe ; mais celui qui s'enfuira vers les tentes^ s'il ne revient pas aussitôt au combat, ne pourra éviter la mort la plus ignominieuse qui lui est réservée^ eût-il les ailes d'un oiseau pour s'envoler. Marchez donc résolument à ce combat qui vous promet beaucoup de profit et de gloire, car vous gagnerez un grand nombre d'esclaves précieux, des femmes, des enfants ; en outre, la ville est pleine de richesses qui seront à vous. » A ces paroles du sultan, les officiers poussèrent des cris frénétiques, sup- pliant Mahomet de donner sans hésitation le signal de l'assaut, et lui promettant à coup sûr la victoire. Digitized by Google CHAPITRE VII ALORS seulement^ après ces enquêtes souvent répé- tées, le sultan déclara, le 26 mai, que l'assaut géné- ral aurait lieu le 29. Mahomet promit à ses soldats le sac de la ville pendant trois jours et leur abandonna tout le butin, les prisonniers et les richesses qu'ils trouveraient; il ne se réserva que les murs et les édifices publics. A cette nouvelle, Tarmée entière fut saisie d'une immense joie qui, dans le courant de la journée, devint de plus en plus tu- multueuse, à mesure que les brèches des remparts appa- rurent plus larges. Le soir, tout le camp fut illuminé, ainsi que la flotte, ce qui environna d'un immense cercle de feux la ville, le quartier de Galata, le port et la mer elle- même, éclairée jusqu a la côte opposée d'Asie. Le lende- main, l'artillerie ouvrit de nouvelles brèches, et il y eut, le soir, nouvelle illumination. Un grand tumulte remplit le camp, et des milliers de derviches le parcoururent en tous sens, annonçant à haute voix que, d'après le Prophète, ceux qui succomberaient dans cette bataille seraient trans- portés en chair et en os au paradis pour y manger et 8 Digitized by Google H4 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE boire éternellement en compagnie de Mahomet^ s y repo- ser dans des champs toujours verts et couverts de fleurs odorantes, entourés de beaux garçons, de belles femmes et des houris célestes, et qu'ils y trouveraient à leur dis- position les bains les plus magnifiques ; à ceux qui survi- vraient étaient promises en récompense les immenses ri- chesses de la ville. Le 28, le sultan fit savoir dans tout le camp, au son des trompettes, que ce même jour chacun devait, sous peine de mort, aller occuper le poste qui lui avait été assi- gné, et se préparer par des prières à Tassant général qui serait livré le lendemain matin. Ensuite il courut à cheval avec sa garde, composée de dix mille cavaliers, à Bes- sikhtach ; et, après y avoir passé sa flotte en revue, il lui ordonna d'occuper avant l'assaut tout le rivage, en se ran- geant le long de la chaîne et des murs de la Propontide jusqu'aux jardins de Blanca. Rentré à son quartier géné- ral, il pressa l'achèvement de tous les préparatifs et distri- bua plus de deux mille échelles pour l'assaut à l'armée et à la flotte. La canonnade ne dura que jusqu'à quatre heu- res du soir, mais, toute la journée, le camp retentit sans in- terruption du son des tambours; le soir, on fit une troi- sième et dernière illumination, plus brillante que les précédentes, et des clameurs épouvantables résonnèrent jusqu'à minuit. Alors les feux furent éteints et le silence régna au camp, pour accorder aux troupes quelques heu- res de repos. En effet, les témoins oculaires, Phranzès et Barbaro, s'accordent à dire que l'assaut commença trois heures environ avant le lever du soleil, le 29^ jour de mai. Quant à ce que Critobule raconte comme arrivé dans la soirée du jour précédent, c'est un des nombreux bavardages dont il a rempli son histoire. Il est vrai que Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS I 1 5 Ducas a également commis la même erreur s mais du moins ce dernier^ en diverses autres parties de son récita est exact, tandis que nous pouvons affirmer sans hésiter que la narration de Critobule est plutôt un exercice de rhéto- ricien se souciant assez peu de la vérité, qu'une œuvre digne de recevoir le nom d'histoire. Tout opposé fut laspect de Constantinople dans ces trois journées. Khalil pacha s'empressa d'informer l'em- pereur des décisions du dernier conseil de guerre et l'en- couragea « à ne rien craindre, car, dans les combats, la fortune très souvent est incertaine » . Même sans cet aver- tissement, il était facile aux chrétiens de comprendre par ces illuminations, par les grandes clameurs, par les mou- vements des troupes, que le moment fatal approchait. Le peuple fut saisi d'épouvante; quant aux défenseurs de la ville, réduits à un fort petit nombre, c'étaient des cœurs d'élite ; ils redoublèrent de zèle. Pour consoler la foule et fortifier ses sentiments religieux, Constantin ordonna que les prélats, les prêtres et les moines, portant les sain- tes images, et en tête l'image de la Sainte Yierge qui, à dijfférentes époques des temps antérieurs, avait fait tant de miracles et aidé à remporter tant d'éclatantes victoi- res, fissent une procession solennelle autour de la ville, en priant Dieu de montrer encore sa miséricorde en fa- veur de la malheureuse cité, et en implorant l'inter- cession de la Mère de Dieu qui, en tant d'autres circons- tances, avait sauvé la capitale. Presque tous les habitants, hommes, femmes et enfants, suivirent tout en larmes ce pieux cortège et joignirent leurs prières à celles des mem- bres du clergé. Le 26, l'empereur mit un soin tout particulier à fermer le mieux possible diverses brèches qui, de moment en Digitized by Google Il6 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE moment^ devenaient plus grandes. En même temps, Giustiniani demanda à Notaras de lui envoyer une par- tie de ses canons pour pouvoir mieux détendre la porte de Saint-Romain qui se trouvait plus exposée qu'aucun autre point. Malheureusement le grand-duc, qui jusqu'à la fin ne cessa de faire noblement son devoir, n'avait pas abandonné son aversion contre les Latins; il refusa le se- cours qui lui était réclamé, sous prétexte qu'il avait lui- même besoin de tous ses canons. Gomme Giustiniani pen- sait avec raison qu'ils étaient moins nécessaires sur les murs regardant le port, une violente dispute s'engagea entre eux, et petit à petit ils en vinrent à un échange d'injures, à tel point que Giustiniani, emporté par la colère, s'écria : « Traître, je ne sais ce qui me retient de te plonger à l'ins- tant mon poignard dans le corps. » L'empereur, par sa présence et de sages paroles, mit fin à cette querelle, en persuadant à chacun de ces chefs de reprendre son poste et de continuer son service. 11 est incontestable que, pendant ces jours-là surtout, Giustiniani se montra admirable, surveillant tout, et le premier affrontant le danger. Tous alofs l'appelaient leur sauveur et leur libérateur. Le sul- tan, admirant la valeur de ce guerrier, essaya en vain de le gagner par toutes sortes d'offres et de promesses, comme l'affirment Léonard de Chios et Dolfino. Le lendemain, toutefois, les brèches devinrent si grandes et si multipliées, qu'à peine avait-on eu le temps d'en réparer une, qu'il fallait de nouveau y revenir ou courir en fermer d'autres. Ce travail était difficile et fort pénible, parce qu'une partie des habitants, même dans ces moments terribles, n'oubliant pas leur intérêt person- nel, ne consentaient à fournir les matériaux ou à prêter leurs services que moyennant rétribution payée d'avance. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS II7 Tandis que, dans le camp des Turcs, il n'y avait qu une seule volonté, qu'il y régnait une discipline très sévère, qu'on y était plein de confiance dans la réussite de la lutte finale, qu'il y avait abondance d'hommes spéciaux pour tous les services, qu'on ne manquait jamais ni d'ar- gent, ni de vivres, ni d'aucune sorte de matériaux, toute dififérente était la situation des assiégés : tous ces appro- visionnements étaient rares ou manquaient dans la ville ; le découragement s'était emparé des âmes, et la dis- corde continuait à diviser les citoyens de Byzance et les étrangers, les Vénitiens et les Génois, les combattants et les non combattants. Constantin était forcé de demander, par des supplications et des flatteries, l'obéissance que Mahomet savait imposer, en châtiant au besoin de sa pro- pre main et en faisant usage de la massue d'or, qu'il te-* nait habituellement comme jouet, et qu'il employait quel- quefois pour punir. Cependant la fermeté de l'empereur et de son entourage ne se démentit jamais. Le 28, Constantin et Giustiniani passèrent encore en revue l'état des fortifications, et, après avoir fait consoli- der les crevasses autant qu'il était possible, ils donnèrent les derniers ordres pour la défense. Vers les quatre heu- res de l'après-midi, quand les Turcs cessèrent le feu, Constantin se retira dans l'intérieur de la ville pour rem- plir jusqu'au bout ses devoirs de roi et de chrétien. Il ras- sembla tous les serviteurs de l'État, civils et militaires ; il plaça devant lui les Byzantins, à sa droite les Vénitiens et à sa gauche les Génois ; puis il s'adressa d'abord aux premiers et leur rappela qu'ils combattaient pour les quatre plus grands biens de ce monde : leur foi, leur pa- trie, leur roi, enfin pour leurs parents et leurs amis, t En conséquence, mes frères, si pour un seul de ces biens Digitized by Google Il8 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE nous devons combattre jusqu'à la mort^ à plus forte rai- son devons-nous le faire pour tous ces biens réunis. > Telles furent ses propres paroles. Il convint que le dan- ger était très grande mais il ajouta que la position n'était pas encore désespérée, et il expliqua pour quelles rai- sons il comptait sur la victoire, exhortant ses com- pagnons d'armes à la rendre possible en combattant d'une manière digne de leur origine comme descendants des Grecs et des Romains, digne aussi du prbt pour le- quel on soutenait la lutte, de cette cité qu'il appela le pal- ladium et le rempart de la patrie, le refuge des chrétiens, l'espoir et la consolation des Grecs, l'honneur et la gloire de tous les habitants de l'Orient. S'étant tourné ensuite vers les Vénitiens, puis vers les Génois, il loua le courage que les uns et les autres montrèrent dans tant de combats contre les infidèles, et les pria instamment de ne point se démentir dans ces moments critiques, mais d'agir comme des frères et des coreligionnaires. S'adressant enfin à toute l'assemblée, il lui dit que ce n'était pas le temps des longs discours, et il termina par ces paroles : < En vos mains, mes frères, je confie ce sceptre si humilié, pour qu'il soit sauvé. J'ai à vous recommander expressément une chose importante et je la sollicite de votre sincère amitié : observez avec le plus grand scrupule Tobéissance à vos chefs et à vos officiers, parce qu'alors j'espère que Dieu nous aidera à échapper au péril actuel. A ceux qui vont succomber est réservée aux cieux une couronne impérissable, et dans ce monde une mémoire éternelle. > Quand il eut prononcé ces paroles, tous les assistants s'é- crièrent d'une voix : c Mourons pour notre religion et pour notre patrie. » Cette harangue fut l'oraison funèbre de l'Empire grec. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS II9 Immédiatement après, l'empereur se rendit avec sa suite dans ce temple magnifique dédié à la divine Sagesse, qu'il ne devait plus revoir; après avoir prié, il reçut la sainte communion, puis il alla saluer pour la dernière fois ce pa- lais impérial où, durant dix siècles, avaient été célébrés tant de triomphes. Il se passa là une scène vraiment émou- vante : Constantin Paléologue, s'étant d'abord arrêté quel- ques instants en silence, se mit à verser des pleurs et de- manda pardon à ceux qu'il avait pu blesser, à tous ces vieux fonctionnaires et serviteurs qui avaient, eux aussi, les yeux baignés de larmes. — « Quand même vous auriez été de bois ou de pierre, dit le bon Phranzès, vous n'auriez pu rester insensible à pareil spectacle. » Vers minuit, tout le monde regagna son poste pour goûter un peu de repos. L'empereur seul, accompagné de Phranzès, voulut visiter encore l'enceinte et examiner si tout se trouvait en ordre et si les gardiens étaient bien à leur poste. A peine parvenus à la porte Caligaria, c'est-à-dire au quartier confié à Jean Grant, ils virent que l'armée tur- que de terre et de mer commençait à donner des marques d'agitation. Vers deux heures du matin, elle courut tout à coup à l'assaut général sans avoir reçu aucun signal préalable, comme cela se pratiquait précédemment. L'at- taque paraissait porter simultanément sur les trois côtés du triangle que formait la ville, afin de disperser et d'attirer partout l'attention de la faible garnison; mais, de fait, l'as- saut véritable était donné aux murs qui regardaient la campagne. La flotte de Bessikhtach se rangea, d'après les ordres de Mahomet, à l'entrée du port et devant les murs sur la Propontide; mais elle conserva une position plutôt mena- çante qu'offensive; sur le golfe de la Corne-d'Or, l'attaque Digitized by Google 120 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE fut limitée au point le plus septentrional de ce côté^ vers le Cynégion. La plus grande partie des murs sur le golfe, et notamment depuis la porte du Phanar jusqu'à la chaîne, resta intacte pendant plusieurs heures, à cause des vais- seaux chrétiens qui s'y trouvaient, et contre lesquels n'es- saya jamais rien de sérieux le corps de troupes turques qui y avait été posté, pas même dans les moments les plus critiques. Zaganos pacha plaça des canons sur le pont qui reliait Haskioï et le Cynégion, et, sous la protec- tion de cette batterie, réunit son escadre, puis attaqua seu- lement le côté nord de ce quartier^ niais il fut vigoureuse- ment repoussé par le cardinal Isidore et Lucas Notaras. L'assaut véritable, avons-nous dit, fut donné aux mu- railles du côté de la plaine, plus particulièrement contre la porte de Saint-Romain. En face de ce point important, le sultan rangea en ligne, les uns derrière les autres, trois corps d'armée, dont le premier était composé des recrues et des gens les moins utiles, le second des irréguliers, et le troisième, au milieu duquel il se trouvait lui-même, était formé des janissaires et d'autres troupes d'élite. D'abord il lança le premier de ces corps dans le simple but d'épuiser les forces des assiégés, assez peu soucieux du sort réservé à ce ramassis de combattants. Que ren- contrèrent-ils devant eux? Nous ne le saurions affirmer exactement. Le fossé avait dû certainement être comblé, au moins en partie, surtout durant ces derniers jours, car les historiens disent que, dès le commencement, on appli- qua les échelles contre les remparts; et Ducas ajoute que Giustiniani avait été récemment obligé d'ouvrir un nou- veau fossé. Mais sur quel point? Ce n'était pas entre l'an- cien fossé et l'enceinte, car les travailleurs se seraient trouvés complètement exposés aux coups des assiégeants. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 121 En conséquence, et selon toutes les probabilités, le nou- veau fossé fut ouvert aux endroits où les murailles avaient été renversées et entre les doubles murs de Tenceinte, où les travailleurs pouvaient avoir un certain abri sous les pans des murs existant encore et sous les tours, et, en outre, être protégés par la muraille intérieure qui avait moins souffert. Nous devons même penser que le mur extérieur n'avait pas été entièrement renversé, et qu'il restait en grande partie debout, ses brèches réparées par des palissades. En effet, l'empereur et Giustiniani purent tenir tête pendant plusieurs heures, avec trois mille hommes seulement, dans l'espace compris entre les deux murailles, ce qui aurait été impossible si la muraille exté- rieure eût été entièrement détruite. Autant donc que l'on peut se former une idée, d'après les informations incomplètes et peu explicites qui nous restent, sur l'état des choses à la porte de Saint-Romain au moment de l'attaque, le premier corps qui tenta l'as- saut, bien qu'il eût été décimé par l'artillerie, la mous- queterie, les traits et le feu grégeois, s'en rapprocha da- vantage et franchit avec facilité l'ancien fossé ; mais il fut arrêté par le mur extérieur, et c'est là qu'il s'efforça d'ap- pliquer les échelles; elles furent renversées, et les assail- lants, après avoir subi de graves pertes, furent contraints à la fin de reculer. En fuyant, ils se heurtèrent contre le deuxième corps qui forcément les ramena avec lui. En ce moment, par toute la ville retentirent les cloches annon- çant le danger; la plus grande partie des habitants se réfu- gia dans les églises implorant le secours du ciel, tandis que d'autres accouraient aux remparts portant des pierres qu'ils lançaient contre l'ennemi. Cette seconde tentative ne fut pas plus heureuse que la première, d'autant plus Digitized by Google 122 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE que les fuyards du premier corps causèrent beaucoup de désordre dans les rangs du deuxième. Les irréguliers, quoique plus robustes, plus habitués aux armes, plus ré- solus, furent décimés comme eux; jetés à bas des mu- railles dès qu'ils en tentaient Tescalade, ils durent lâcher pied, à leur tour, bien qu'après une lutte plus acharnée. A ce second insuccès, paraît-il, ne contribua pas peu le fait suivant : le sultan, plein de fureur en voyant que les murs présentaient encore autant de résistance, fit lancer des bordées au milieu de lassant, et il en résulta que beaucoup des siens tombèrent victimes de sa propre artil- lerie. Alors Mahomet lui-même s'élança avec ses janissaires et ses troupes d'élite, et Barbaro rapporte que c ce n'é- taient plus des hommes, c'étaient des lions » . Néanmoins^ les chrétiens, si fatigués qu'ils fussent par suite de la durée . de la lutte, supportèrent sans faiblir ce troisième et ter- rible ouragan. Près des murs, le massacre fut si grand, que ce même témoin oculaire affirme, à plusieurs reprises, que 20 , 40 , 80 charges de chameaux n'auraient point suffi pour emporter les morts. Les tchaouch (ou servi- teurs du sultan) ne cessaient, avec leurs bâtons de fer et leurs nerfs de bœuf, de frapper, pour les pousser en avant, ceux qui reculaient; et le sultan, qui accompa- gnait le troisième corps, poussait les bataillons à l'assaut, tantôt en les flattant, tantôt en les menaçant. Plus d'une fois même, il n'hésita pas, dit-on, à passer des menaces aux actes avec sa massue d'or. Non-seulement l'ennemi escaladait les murs en se ser- vant des échelles, mais encore les soldats se hissaient sur les épaules les uns des autres pour atteindre le haut des remparts. Un combat terrible s'engagea corps à corps à Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 123 Tarme blanche; les combattants poussaient des hurle- ments épouvantables; le massacre était effrayant des deux côtés; les troupes de Constantin et de Giustiniani, perdant courage^ commençaient à céder, quand Nicéphore Paléologue et Démétrius Cantacuzène, venant à leur se- cours avec la réserve, arrêtèrent Télan ^e l'ennemi, le jetèrent honteusement à bas des murs et renversèrent les échelles. Le soleil du 29*^ jour de mai avait lui, et Tétendard im- périal avec l'aigle à double tête flottait encore sur la porte de Saint-Romain. L'empereur, plein d'ardeur et de joie, s'écriait. « Compagnons d'armes et frères, nous tenons la victoire. Dieu combat avec nous. » Pendant qu'il pronon- çait ces mots, une flèche atteignit subitement Jean Giusti- niani au bras d'après les uns, d'autres disent au pied, et, selon Critobule, à la poitrine; il fut obligé de s'éloigner pour panser sa blessure. Au sujet de la retraite de cet homme, on a émis, pendant plus de quatre cents ans, des jugements erronés et injus- tes. Les sentiments hostiles qui animaient les Vénitiens contre les Génois, et qui divisaient les Grecs et les Latins, firent exploiter cette circonstance au profit de la passion haineuse, et l'on représenta l'un des plus nobles et des plus remarquables acteurs de ce grand drame, comme ayant déserté son poste sans nécessité; on le fit passer pour lâche, pour traître, pour l'auteur de la chute de Constantinople ; et cette atteinte portée à la vérité par les contemporains, s'étant perpétuée jusqu'à notre époque, a induit en erreur plusieurs historiens de notre temps qui ont répété cette grande injustice. Barbaro, qui ne fait pas même mention de la blessure, dit que Giustiniani, ayant déserté et fait courir le faux bruit de l'entrée des Turcs Digitized by Google 124 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE dans la cité^ ftit cause du désastre. Dolfino lui-même^ quoique plus modéré -dans ses appréciations, assure que la blessure n'était pas grave ; il nomme sa retraite une fuite, et prétend qu'il montra, en ce moment, une lâcheté tout à fait contraire au courage qu'il avait déployé jusqu'a- lors. Phranzès dit aussi, en passant, que la plaie était € peu de chose » . Selon Chalcocondyle, qui d'ailleurs se montre souvent amateur de mots à effet, lorsque Giusti- niani traversait la ville pour se rendre à Galata, il fut rencontré et interrogé par Tempereur^ son ami, auquel il répondit qu'il suivait, lui aussi, la route par laquelle Dieu lui-même avait conduit les Turcs. Ducas seul^ dont les sympathies pour les Génois nous sont connues, prétend que Giustiniani ne pouvait supporter la douleur que lui causait sa blessure, et qu'ayant engagé le roi à continuer la résistance avec courage, il promit de revenir dès qu'il aurait pansé sa plaie. D'un autre côté, Critobule écrit que la blessure était si grave, que le blessé tomba et fut em- porté dans sa tente en un triste état. N'y a-t-il pas ici de l'exagération ? Nous le pensons. Toutefois, c'est un fait certain que la blessure était au moins sérieuse, puisque Giustiniani, un mois après, alla mourir à Chios, où il se rendit de Galata quand la ville fut prise ; et il n'est pas moins vrai qu'il n'était pas homme à faire des phrases comme le veut Chalcocondyle. Phran- zès, qui le blâme fortement en cette circonstance, fait ob- server cependant « qu'il ne fit aucune réponse » aux instantes prières de l'empereur. En effet, comipent pou- vons-nous admettre, d'après Barbaro, qu'il répandit la fausse nouvelle en question, tandis qu'au moment de sa blessure l'ennemi, non-seulement n'avait pas encore péné- tré dans la ville, mais avait été, au contraire, brillamment Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 125 repoussé? Pour lui attribuer un si grossier mensonge, il faudrait croire que Thomme qui, durant près de deux mois, fit ce que nul autre ne put faire pour l'honneur de l'hellénisme et le salut de la chrétienté, que Thomme qui sut résister à toutes les propositions de Mahomet, devînt subitement, et sans raison, un vil et misérable traître. Peut-être aurait-il pu tout au plus, malgré ses souffrances, garder encore son rang pour mourir une ou deux heures après avec Constantin; c'est possible. Mais entre un sa- crifice surhumain et la lâcheté ou la trahison, il y a un abîme. En outre, il n'est pas exact que la retraite de Giustiniani eut pour résultat la chute de la ville. Cette re- traite, il est vrai, produisit tout d'abord de l'émotion et quelque confusion parmi les soldats placés sous ses or- dres; mais la prise de la cité est due à une tout autre cause. Les Turcs, ayant aperçu l'agitation des chrétiens en cet endroit, recommencèrent l'attaque avec un nouvel achar- nement. Un janissaire, d'une force et d'une stature gi- gantesque, nommé Hassan, tenant de la main gauche son bouclier au-dessus de sa tête et son épée de la main droite, s'élança sur les murs et entraîna à sa suite une trentaine de ses compagnons ; dix-huit furent immédiate- ment jetés à bas ; mais Hassan réussit à s'y maintenir, et de nouveaux soldats escaladèrent, de sorte qu'une furieuse lutte s'engagea sur les remparts. A la fin, Hassan re- poussé et jeté dans le fossé, la plupart des assaillants ayant péri, le reste dut céder et s'enfuir. Ainsi, l'assaut donné après la retraite de Giustiniani n'eut pas plus de résultat que les précédents. La principale attaque se faisait, avons-nous dit, contre la porte de Saint-Romain-, elle était dirigée simultané- Digitized by Google 126 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE ment contre toute la partie de l'enceinte située entre cette porte et l'Hebdomon. Pendant de longues heures, Ten- nemi n'eut pas plus de succès sur ce points mais tout à coup un accident inattendu introduisit les Turcs dans la ville : à la partie inférieure du palais de l'Hebdomon se trouvait une petite porte souterraine, fermée avec soin depuis plusieurs années. Quelques jours auparavant, ce guichet avait été ouvert pour faciliter les travaux des combattants; et, parce qu'il était petit et peu visible, on avait oublié de le clore de nouveau dans la matinée de Tassant. Quelques Turcs, de ceux qui combattaient près du palais, ayant par hasard découvert ce guichet, en pro- fitèrent pour pénétrer dans la ville d'abord au nombre d'une cinquantaine, peu après en plus grand nombre; d'autres enfin, aidés par les premiers, escaladèrent les mu- railles, et, par suite, se trouvèrent en peu de temps assez nombreux pour attaquer les portes Charsia et d'Andrino- ple, et tout particulièrement la porte de Saint-Romain, en prenant à revers les troupes qui combattaient sous les ordres de l'empereur, tandis que le sultan, informé de ce qui se passait, redoublait ses attaques de front. Moment terrible ! Constantin qui, dans l'espace de qua- tre heures et demie, avait déjà repoussé avec succès quatre grands assauts, et qui comptait avoir raison à la fin de l'opiniâtreté de l'ennemi, le vit à l'improviste faire irrup- tion dans la ville, et se trouva subitement enveloppé de toutes parts. Désespéré, il piqua des deux son cheval et se jeta au plus épais de la mêlée, combattant comme un simple soldat, et « le sang coulait à flots de ses pieds et de ses mains », dit Phranzès. Auprès de lui combattaient en désespérés Francesco Toletino, Théophile Paléologue, d'autres Paléologues, surnommés les Métochites, le père Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 127 ^vec ses fils, Cantacuzène, Jean le Dalmate, s'eflforçant d'arrêter la violence des assaillants de derrière et ren- versant ceux qui escaladaient les remparts. Les mêmes faits se produisaient près de la porte Gharsia et d'Andri- nople : le vieux commandant de la porte Gharsia, Théo- dore Carystenos, n'est pas mentionné; mais les frères Brozzardi, défenseurs de la porte d'Andrinople, sont hau- tement loués, pour divers traits de courage, par Phranzès et Dolfino. A la fin, cependant, ils durent tous succomber sous la masse des Turcs, dont le nombre grossissait de moment en moment. Presque tous les officiers supérieurs étaient tombés les armes à la main : Théophile Paléolo- gue, tous les Paléologues Métochites, Cantacuzène, Jean le Dalmate, et avec eux plus de huit cents guerriers, l'é- lite des combattants grecs et latins. Les autres furent en- traînés par la foule qui s était précipitée de tous côtés. En ce moment, l'empereur s'écria, selon Ducas : « Est- ce qu'il ne se trouve pas un chrétien qui prenne ma tête ? » et selon Critobule : « La ville est prise, et je vis encore ! » — A peine avait-il prononcé ces paroles, qu'un Turc le blessa au visage ; Gonstantin rendit le coup aussitôt, mais un autre soldat ennemi le frappa mortellement par der- rière. Ainsi l'empereur succomba de la même manière que la ville : non quand il fut frappé par devant, mais quand il le fut par derrière; il tomba au poste qu'il avait dès le commencement choisi, et resta là, gisant au milieu d'un monceau de cadavres, parce que, malgré sa chaus- sure écarlate sur laquelle étaient brodées en or les aigles impériales, il n'attira l'attention d'aucun des assaillants qui avaient hâte de courir dans l'intérieur de la ville, attirés par l'appât du pillage et du butin. S'ensevelir sous les ruines de l'Empire était la plus Digitized by Google 128 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE belle fin que Constantin pût souhaiter^ la seule qui fût di- gne d'un César grec^ et son étemel honneur sera de 1 Sa- voir compris. Sa mort est certainement plus glorieuse que ta longue prospérité de tous ses prédécesseurs. 9^^^^j^J^A Digitized by Google CHAPITRE VIII LA ville entière était, en effet, au pouvoir du vain- queur; car il faut voir une fable dans le dire de Dém. Cantémir affirmant, dans son histoire, que la moitié et surtout les plus importants quartiers de Cons- tantinople ne furent livrés qu'à la suite d'une convention; cette fable a été répétée depuis par d'autres écrivains. Or, d'après les témoignages unanimes de tous les contempo- rains grecs, latins et turcs, la ville fut occupée intégrale- ment sans aucun traité, A la nouvelle que les Turcs étaient maîtres des portes de Saint-Romain, de Charsia et d'Andrinople, presque tous les défenseurs des autres par- ties des remparts prirent la fuite, comprenant qu'ils allaient se trouver enveloppés; entre autres Lucas Notaras qui, jusqu'à ce moment, avait courageusement repoussé les at- taques de Zaganos pacha sur le golfe de la Corne-d'Or. Partout les drapeaux et les enseignes impériales furent abattus et remplacés par le Croissant. 1-es équipages de la flotte turque qui ne contribua en 9 Digitized by Google l3o LA PRISE DE CONSTANTINOPLE rien à la chute de la ville^ avaient abandonné leurs vais- seaux et s'étaient rués sur les portes faisant face à la Pro- pontide ; la ville fut aussitôt envahie de divers côtés par une foule sauvage et innombrable. Ce n'étaient pas seule- ment les soldats et les matelots qui accouraient, mais en- core les religieux, les divers serviteurs, et même ceux qui faisaient paître le bétail et tous les gens de cuisine. Alors commença le pillage de trois jours qui avait été promis par Mahomet avant l'assaut. D'abord on tua indistincte- ment ceux qu'on rencontra, les combattants comme les fuyards, les hommes, les femmes, les enfants; mais, peu après, la cupidité triompha de la cruauté, et les vainqueurs se contentèrent de faire prisonniers les vaincus, afin d'en tirer un profit en les vendant comme esclaves. . Ducas dit qu'après la prise de la ville 2,000 combat- tants furent mis à mort; Critobule prétend que, durant le siège et après la prise de la ville, 4,000 personnes péri- rent en tout, tant indigènes qu'étrangers, de tout âge et des deux sexes. Au milieu de cet affreux désordre et de cette immense consternation, la plupart des généraux et des chefs chrétiens étrangers qui survécurent, parvinrent à se sauver. On cite les frères Brozzardi, Aloisio Diedo, Jérôme Morosini, Gabriel Trevisano, etc. ; mais, à l'ex- ception de Lucas Notaras, tous les chefs grecs trouvèrent la mort en combattant. Les vaisseaux chrétiens qui gar- daient la chaîne, purent s'échfîpper; et, si pendant le siège, il n'avait pas fallu désarmer plusieurs des vaisseaux qui étaient dans le port, afin d'en employer les équipages au service des remparts, ceux-là également auraient été sau- vés, car les équipages de la flotte turque étaient descen- dus à terre pour piller. Les principaux captifs furent le cardinal Isidore qui, Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS l3l s'étant travesti, fut vendu à Galata comme un homme du peuple, et qui plus tard réussit à s'échapper; le bayle de Venise, Jérôme Minotto, le consul espagnol Pierre Ju- liano, rhistorien Phranzès, qui fut ensuite racheté et se ré- fugia dans le Péloponnèse, mais après avoir vu les plus belles de ses filles entrer dans le harem du sultan; enfin Lucas Notaras^ qui fut fait prisonnier avec toute sa famille dans sa propre maison, après une faible résistance, et fut d'abord tenu captif chez lui sur Tordre même du sultan. Le prince Orkhan, qui gardait les murailles de la Propon- tide, chercha à s'échapper sous un déguisement de moine; mais il fut arrêté et gardé d'abord comme un prisonnier ordinaire ; trahi plus tard par un de ses compagnons d'in- fortune, qui reçut en récompense sa liberté, il fut déca- pité. On porta sa tête au sultan. Un fait surprenant, raconté par Ducas, c'est que les fils et les filles de Notaras furent saisis dans leur lit par les Turcs qui avaient envahi la maison du grand-duc. Le sommeil de la jeunesse est profond; puis ils avaient con- fiance que cet assaut devait être repoussé comme les pré- cédents. Bien des gens partageaient cette opinion, ainsi qu'il est démontré par un autre fait que rapporte le même historien : « Il advint, dit-il, dans ce jour terrible qu'on célébrait en grande pompe la fête de sainte Théodosie; en conséquence, dès la veille au soir, un grand non^bre d'hommes et de femmes passèrent la nuit dans l'église où se trouvait enterrée la sainte; et, le lendemain matin, une foule d'hommes, plus grande encore, vint y faire ses dé- votions, accompagnés de leurs femmes dans leurs plus beaux atours, quand tout ce monde fut subitement fait prisonnier par les Turcs. » Mais, si beaucoup avaient tant d'espoir dans le résultat Digitized by Google l32 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE final du siège^ la majeure partie des habitants, aussitôt qu'ils entendirent sonner les cloches annonçant le danger, coururent aux églises invoquer l'intercession de la Sainte- Vierge. Quand la prise de la ville fut connue, tout le monde , comme d'un accord tacite , afflua à l'église de Sainte-Sophie, parce que, suivant Ducas, depuis de lon- gues années, de faux prophètes avaient fait courir le bruit que les Ottomans s'empareraient de la ville et massacre- raient ses habitants jusqu'à la colonne de Constantin; mais qu'alors un ange apparaîtrait tenant un glaive à la main et donnerait ce glaive et l'empire à un pauvre in- connu assis au pied de la colonne, en lui disant : « Prends ce glaive et venge le peuple du Seigneur ; » qu'à ces mots les Turcs prendraient la fuite, et que les chrétiens les chas- seraient de la ville et de tout l'Occident en les poursuivant en Asie jusqu'aux confins de la Perse. Confiants dans cette prophétie, tous se hâtèrent de lais- ser la colonne de Constantin derrière eux et de s'entasser dans l'église. La foule y devint d'autant plus serrée qu'un certain nombre de personnes, qui avaient cherché d'a- bord leur salut à bord des navires, vint s'y réfugier, car par malheur les gardiens des portes, sur la foi de ces ridi- cules prédictions, fermèrent les portes de la ville du côté de la Propontide et jetèrent les clés à la mer, ce qui força les fuyards à s'abriter dans l'immense église. Cette multi- tude avait fermé les portes et attendait les secours promis, quand les Turcs, faisant irruption l'épée à la main, com- mencèrent à s'emparer de tous ces gens désarmés. Cha- que soldat choisit ses captifs, les garrotte et les emmène comme un vil bétail ; d'autres, attirés par les richesses du temple, vases sacrés et saintes images, enlèvent tout, et, en uaclin d'oeil, l'église se trouve dépouillée de tous ses or- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS l33 nements. Non contents de se livrer au pillage, ils commet- tent toutes sortes d'outrages sur leurs prisonniers. De pareilles scènes avaient lieu dans tous les autres quar- tiers de la ville. Aux aveugles violences du premier mo- ment qui firent inutilement verser tant de sang, succéda un pillage en règle. Suivant Barbaro, devant chaque maison, église ou couvent, où avaient pénétré des soldats turcs, on piquait un petit drapeau indiquant que la place était déjà occupée, que, par conséquent, les survenants n'avaient plus le droit d'y entrer et devaient chercher fortune ailleurs. On compta, durant le sac de la ville, plus de 200,000 de ces petits drapeaux; sur un grand nombre de maisons, on en comptait plus de dix. A midi, Mahomet, qui d'abord n'avait pas voulu assister au pillage, se décida à faire son entrée triomphale dans Constantinople par la porte d'Andrinople; accompagné de ses ministres et des gens de sa cour et entouré de ses gar- des, il se rendit tout droit à Sainte-Sophie : arrivé devant Téglise, il mit pied à terre, et, en entrant, il fut saisi d'admiration. Il remarqua un soldat qui avec sa hache brisait les dalles du pavé : « Pourquoi, lui dit-il, fais-tu ce dégât? > Le soldat répondit : « A cause de notre reli- gion. » Le sultan, ftirieux, le frappa violemment en ajou- tant : « Vous avez assez du pillage et des prisonniers, les édifices de la ville m'appartiennent. » Pendant que l'on traînait dehors par les pieds le soldat demi-mort, Ma- homet ordonna à un imam de sa suite de monter dans la chaire et d'appeler les fidèles à la prière. Le sultan le pre- mier fit son namaz sur le grand autel : c'est ainsi que cette splendide et admirable église fut arrachée au culte du vrai Dieu et affectée depuis lors aux rites de l'Islam. En quittant Sainte-Sophie, Mahomet demanda Nota- Digitized by Google l34 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE ras ; et, lorsque celui-ci se présenta devant lui et lui rendit hommage, le sultan dit au grand- duc : « Vous avez bien fait en vérité de ne pas me livrer la ville ; voyez quels dé- sastres, quelles ruines et quel grand nombre de captifs sont le résultat de votre résistance !» — « Seigneur, ré- pondit Notaras, il n'était pas en notre pouvoir, ni même au pouvoir de l'empereur, de vous livrer la ville, d'autant plus que quelques-uns de vos serviteurs l'encourageaient encore par lettres à ne rien craindre, parce que vos ten- tatives contre nous n'aboutiraient point. » Le sultan com- prit parfaitement que c'était une allusion à la trahison de Khalil pacha et prit, dès lors, la résolution de se défaire de son grand-visir ; mais il ne la manifesta point en ce mo- ment. Il demanda à Notaras si l'empereur s'était enfui par mer. Celui-ci répliqua : • Je Tignore, car je me trou- vais à la porte impériale, tandis que l'empereur se battait entre les portes de Saint-Romain et Charsia. » Le sultan fit faire alors des recherches plus minutieuses parmi les cadavres entassés en cet endroit, et le corps de l'empereur fut découvert ; on le reconnut aux aigles de sa chaussure. Mahomet se fit apporter la tête de Constantin et demanda à Notaras si c'était vraiment la tête de l'empe- reur. Après l'avoir regardée, le grand-duc répondit : « Oui, seigneur, c'est la sienne. » Alors, l'ayant fait considérer et reconnaître par diverses personnes, pour bien en consta- ter l'identité, il donna l'ordre de l'exposer jusqu'au soir sur la colonne appelée l'Augustéon, et d'ensevelir le corps avec des honneurs royaux. C'est du moins ce que dit Phran- zès, sans cependant faire connaître quelle espèce d'honneurs royaux furent rendus au corps du dernier des Constantin*. I. Des historiens prétendent que la tête de l'empereur, après être restée expo- Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS l35 S'il faut en juger par Thumble tombeau qui subsiste encore aujourd'hui^ nous devons croire que^ pour la sé- pulture seulement, on observa certaines cérémonies usi- tées de tout temps pour l'inhumation des personnes de sang royal, mais qu elle ne se fit pas avec toute la pompe et l'éclat habituels. En effet, près de Véfa Meidan et de Véfa Djami, dans la cour d'une maison occupée par des savetiers, des bourreliers et d'autres pauvres artisans, re- pose, d'après la légende, le dernier défenseur de Cons- tantinople, sous une simple pierre qui ne porte aucune inscription, et à l'ombre d'un saule, autour duquel s'enla- cent une vigne sauvage et des rosiers. De nos jours encore, on y allume chaque soir une lampe très simple, dont l'huile est fournie par le gouvernement ottoman. C'est ce que dit M. Mordtmann; car, selon d'autres historiens se préten- dant mieux renseignés, la sépulture de Constantin XIV serait plus humble encore. Quoi qu'il en soit, il est évident que le vainqueur a été porté à agir ainsi plutôt par intérêt politique que par grandeur d'âme. Lorsqu'il faisait constater officiellement l'identité du mort, lorsqu'il lui rendait les derniers devoirs avec le cérémonial usité pour les personnes royales, et qu'il veillait à ce que l'emplacement de sa tombe restât connu à jamais, il ne cherchait-qu'à mettre hors de doute et de toute discussion qu'il n'y avait plus désormais sur la terre « d'empereur des Romains oint au nom du Sei- gneur », pouvant protester contre l'œtivrê de la force et de la violence ; car, quelque confiance qu'aient en leur propre force les grands conquérants de la terre, ils n'en- sée un jour entier sur la colonne d'Augustéon, fut écorchée ; et sa peau, remplie de paille, fut promenée dans toutes les villes de TOrient, afin que personne ne doutât de sa mort. Digitized by Google l36 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE tendent pas moins retentir au fond de leur cœur la voix du droit et de la justice, avec laquelle ils veulent se ré- concilier d une manière quelconque. Certain d avoir ainsi consolidé. sa conquête, Mahomet éprouva une très vive satisfaction, qu'il manifesta par la générosité avec laquelle il se conduisit ce jour-là envers les braves guerriers qui continuaient encore à se battre dans un quartier éloigné de la ville, et envers le plus illustre de tous ses prisonniers. Depuis six heures du ma- tin le Croissant flottait sur tous les édifices, sur toutes les tours de la ville, sauf sur une seule que Ton ne pouvait prendre et qui refusait de se rendre : c'était la tour de Ba- sile, située près de la porte appelée aujourd'hui Bakhtché- Capou, et où s'était enfermé l'équipage d'une galère Cre- toise. Ces intrépides enfants de la noble Crète pouvaient s'enfuir sur leur vaisseau qu'ils avaient conservé ; mais, bien qu'ils vissent que toute la cité était tombée au pou- voir de Tennemi, ils ne consentaient ni à fuir ni à se rendre ; ils persistaient avec la même ardeur à défendre leur poste sous le drapeau impérial qui flottait encore. Il était deux heures de l'après-midi . quand on rapporta ce fait au sultan qui, admirant le courage de ces braves sol- dats, ordonna de cesser l'attaque et fit dire aux Cretois qu'ils étaient libres de sortir de la tour avec les honneurs de la guerre, comme on dirait aujo.urd'hui, c'est-à-dire qu'ils pouvaient, sans obstacle, emporter sur leur galère leurs armes et tout ce qui leur appartenait. Phranzès ajoute que, même après ce message, ils ne pouvaient se résoudre à abandonner la tour confiée à leur garde. Le sultan manda de nouveau auprès de lui Notaras, le consola, fit conjpter à sa femme et à chacun de ses en- fants la somme de i,ooo aspres, puis lui dit qu'il avait Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS i3j l'intention de lui confier le gouvernement de la ville et de lui donner un rang plus élevé encore que celui qu'il occu- pait sous l'empereur ; il lui demanda les noms des familles nobles et des officiers du palais^ ensuite il le laissa retour- ner chez lui. En effet, il fit rechercher dans le camp et à bord de sa flotte* les personnages illustres dont il avait les noms, et les racheta tous, en payant lui-même mille aspres pour chaque captif. Le lendemain, 3o mai, le sultan entra pour la seconde fois dans la ville; ses généreuses dispositions n'avaient pas encore disparu. Il alla directement à la maison de Notaras et trouva sa femme au lit, malade des terribles émotions de la veille. S'étant approché du lit, il salua la malade et lui dit : « Salut, mère, ne te chagrine pas à cause des événements ; que la volonté de Dieu soit faite. J'ai à te donner des biens beaucoup plus considérables que ceux que tu as perdus ; reviens seulement à la santé. » Alors s'avancèrent les jeunes fils du grand- duc, présen- tant leurs hommages au nouveau maître et le remerciant de ses bontés. Ensuite le sultan se mit à visiter la ville. Tous les cap- tifs, c'est-à-dire tous les habitants survivants, avaient été conduits au camp ou à bord des navires ; dans les rues, on ne voyait plus âme vivante. Dans les maisons seulement le pillage continuait, avec tous les désordres qui s'en suivent. Les soldats turcs cherchaient avec rage ce qu'ils n'avaient pu découvrir la veille, et les pillards se battaient entre eux pour n'avoir pas à partager le butin. La vue de cette grande capitale qui, hier encore, était pleine de vie et de mouvement, qui renfermait la tête et le cœur de toute la chrétienté de l'Orient, et qui gisait maintenant morne et sans voix, produisit quelque émotion même sur le cœur Digitized by Google l38 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE de pierre de Mahomet II. Arrivé devant le palais impérial et considérant le silence profond et la solitude présente, il se rappela ces vers du poète persan : « L'araignée remplit les fonctions d'huissier dans les galeries royales, et la chouette pousse son cri de guerre dans le palais d'Afrasiab. » Mais cette émotion et, ce qui est plus fâcheux encore, la clémence qu'il montra au commencement s'évanouirent peu après. Le sultan ordonna de dresser les tables du fes- tin près du palais ; et, quand il fut gorgé de vin, il dit au chef des eunuques de se rendre à la maison de Notaras et de lui. intimer l'ordre d'envoyer au banquet le plus jeune de ses enfants. Ce garçon avait à peine quatorze ans ; il était d'une rare beauté. Le père, en entendant cet ordre, garda le silence, accablé de douleur; puis il répondit : « Nous n'avons pas l'habitude de livrer de nos propres mains nos enfants pour être souillés. 11 vaut mieux que le sultan envoie son bourreau pour prendre ma tête. » Le chef des eunuques lui conseilla d'obéir et de ne pas exciter la colère de spn maître. Notaras persista à dire que, s'il le voulait, il pouvait emmener de force son enfant, mais qu'il ne consentirait jamais à le livrer de son plein gré. L'eunuque alors revint auprès de Mahomet, à qui il raconta ce qui s'était passé, et le sultan s'écria : « Eh bien, va avec le bourreau; toi, amène- moi le garçon, et que le bourreau décapite Notaras et ses autres fils. » A cette nouvelle, le grand-duc embrassa sa femme et ses filles et suivit le bourreau avec ses deux fils Le troisième fut emmené par l'eunuque qui le remit au sultan, en l'informant que les autres attendaient ses ordres aux portes du palais. Mahomet garda le jeune garçon et dit au bourreau de faire tomber la tête du père et de ses deux fils. Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS iSq Quand le bourreau les conduisit a quelque distance du palais et annonça aux victimes Tarrêt du sultan, le moins âgé des deux jeunes gens se mit à pleurer ; mais le père releva leur courage par ces paroles : « Mes chers enfants, en un instant nous avons perdu fortune, gloire et honneur; peut-être aurions nous pu conserver la vie, mais quelle vie! Être. misérables et méprisés jusqu'au moment fatal qui arrive pour tous. La mort n'est-elle point préférable? Où est notre empereur? N'est-il pas tombé hier en combattant? Où est le grand chambellan, où sont le grand maréchal Paléologue et ses deux fils ? Est-ce qu'ils n'ont pas été tués hier les armes à la main? Plût à Dieu que nous eussions partagé leur sort ! Néan- moins, ce moment aussi est heureux, car nous allons être délivrés des liens d'une vie passagère et nous assu- rons notre éternel avenir; qui -sait, en effet, ce que le dé- mon nous réservait, et si, en restant ici-bas, nous n'au- rions pas eu à souffrir de ses traits mortels ? Maintenant la voie est ouverte devant nous ; au nom de Celui qui a été crucifié pour notre salut, qui est mort et ressuscité pour nous, mourons aussi, afin qu'il nous reçoive en sa grâce et que nous puissions jouir de biens impérissa- bles. • Ces paroles raffermirent le courage des jeunes gens ; Notaras dit au bourreau de faire son devoir en décapi- tant d'abord ses fils. Celui-ci obéit et trancha la tête des enfants sous les yeux de leur père, qui répétait : « Je te rends grâces, mon Dieu; tes décrets .sont justes. Sei- gneur. » Ensuite il demanda la permission d'aller prier quelques instants dans une chapelle qui se trouvait près de là, ce qui lui fut accordé; il revint et livra sa tête au bourreau. Digitized by Google I4Ô LA PRISE DE CONSTANTINOPLE Ce changement subit des dispositions de Mahomet provenait-il des fumées de l'ivresse, ou bien, comme cer- tains historiens le prétendent, lui fut-il inspiré par ses ministres et ses courtisans devenus jaloux des avantages et des honneurs qu'il paraissait vouloir accorder aux personnages les plus marquants parmi les vaincus? Le fait est que le sultan ne brillait pas par la douceur et la clémence -, et que, si plus tard il eut la sagesse d'octroyer quelques privilèges aux chrétiens, cette concession "-ne fut jamais assurée et ne put les mettre à l'abri de vexa- tions et de malheurs fréquemment renouvelés. Il fit tuer en même temps tous les nobles grecs qu'il avait rachetés la veille; leurs jeunes entants, ainsi que leurs filles les plus belles, furent livrés aux gardiens du harem. Span- dugino ajoute à ces actes de barbarie, relatés par tous les contemporains, le massacre d'un grand nombre de no* blés qui, étant venus à Constantinople vers la fin de juin sur les belles promesses du sultan, furent également mis à mort. Mais ce second massacre eut-il lieu réellement, ou bien, par erreur, compta-t-on une seconde fois le pre- mier ? Quoi qu'il en soit, après la chute de la ville, Maho- met fit tuer Minotto avec son fils Georges, et Pierre Ju- liano avec ses deux fils. Beaucoup de Vénitiens et d'au- tres étrangers réussirent plus tard à recouvrer leur liberté en payant une rançon, variant de 800 à 2,000 ducats. Tel est, du moins, le chiffre donné par Barbaro. Le sultan ne tint parole qu'à ses soldats, car le sac de la ville continua, en effet, trois jours pleins. Lès dépouilles amassées en métaux et autres objets précieux furent éva- luées, d'après l'estimation la plus probable, à 200,000 du- cats, soit à environ 2,600,000 francs; cette somme, com- parée aux trésors que trouvèrent les Croisés lorsqu'ils Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS I4I s'emparèrent de Constantinople deux cent cinquante ans auparavant, atteste, à n'en pouvoir douter, que cette ville n'avait pu regagner la splendeur ni les richesses des an- ciens temps. Le nombre des captifs est évalué à soixante mille âmes ; on en peut conclure que celui des habitants ne devait pas dépasser de beaucoup le total de quatre- vingt mille, chiflre que l'on peut atteindre si l'on y fait entrer le nombre approximatif de ceux qui moururent pendant le siège et celui des fugitifs. L'histoire cite beaucoup de catastrophes qui, à pre- mière vue, paraissent plus dramatiques et plus poignan- tes que la chute de Constantinople. Ici, en eôet, le droit et la force se mesurèrent Tun contre l'autre pour ainsi dire de sang-froid , et les deux adversaires se battirent en quelque sorte sans passion : Mahomet, plein de con- fiance dans la supériorité de ses forces, et Constantin, n'ayant foi que dans son triomphe moral. C'est pourquoi le massacre, sans être très étendu, suffit néanmoins pour attester la victoire de la force et l'honneur du droit. Mais, si nous voulons regarder de plus haut, nous ver- rons qu'aucune des catastrophes mentionnées par l'his- toire ne fut plus déplorable et n'eut d'aussi funestes conséquences pour la civilisation et l'humanité. Ce ne fut pas la seule ville de Constantinople qui succomba, mais l'Empire grec tout entier; et, la nation grecque ré- duite en esclavage, ce fut pour longtemps la disparition de tout un monde de choses et d'idées, le monde de la civilisation grecque. Digitized by Google Digitized by Google CHAPITRE IX LA chute de G^nstantinople a été longtemps regar- dée comme un fait politique des plus graves ^ des plus importants , et même tellement critique , qu'en gé- néral la chronologie de Tempire ottoman commence à Tannée 1453 ; et que la destruction de Tempire byzantin, comptée parmi las grands événements du xv** siècle, sépare Thistoire du moyen âge de celle des temps modernes. Depuis quelques années, cependant, des historiens ont cherché à amoindrir les conséquences de rétablissement des Turcs Ottomans sur les rives du Bosphore, et se sont efforcés de diminuer Timportance attribuée jusqu'alors à cette révolution politique. Nous pensons, quant à nous, qu'il advient ici ce qui a lieu fré- quemment pour beaucoup d'autres faits de ce. monde : les réflexions après coup ne sont pas toujours plus sages que les premières impressions; au contraire, souvent il arrive que la .conception primitive d'un fait se trouve être plus vraie, plus exacte que celle qui, plus tard, est modi- fiée pour des raisons quelconques. Nous ne voulons pas Digitized by Google 144 *-A PRISE DE CONSTANTINOPLE dire que la ruine complète de Tindépendance du christia- nisme en Orient influa sur le sort d^ l'Europe centrale et occidentale quant à sa formation politique, sociale et in- tellectuelle autant que la découverte de l'Amérique et le passage par le cap de Bonne-Espérance^ ou que la décou- verte de rimprimerie et de la poudre à canon. L'étude de la littérature grecque et des beaux-arts de la patrie de Phi- dias, de Polygnote et de Praxitèle^ qui s'était vers cette époque développée en Italie, contribua puissamment au magnifique épanouissement intellectuel et moral de l'Eu- rope; mais ce réveil de l'intelligence, attribué aux Grecs qui cherchèrent asile en Occident quand ils n'eurent plus de patrie, n'aurait-il pu se manifester alors ou un peu plus tard, même sans cette catastrophe? Les esprits étaient mûrs pour un pareil commerce intellectuel, d'abord en Italie, et peu après dans les autres contrées de l'Europe. En outre, les rapports, chaque jour plus fréquents entre l'Occident et l'Orient^ auraient forcément amené Tétude plus complète des lettres et des arts helléniques, et une recherche plus assidue des chefs-d'œuvre qui existaient encore dans les divers pays de TOrient grec. Par contre^ il est incontestable que la conquête ottomane a grande- ment diminué la quantité de ces précieux trésors, et qu'elle a privé à tout jamais le monde civilisé d'un grand nom- bre d'entre eux. Pour prouver notre assertion, nous nous bornerons à citer un seul fait : le Vénitien Lauro Quirini écrivait de Crète, en juillet 1453, au pape Nicolas V, (cette lettre en original est conservée en Angleterre dans la. bibliothèque Cottonienne), que le cardinal Isidore lui avait affirmé que les manuscrits des bibliothèques de Constantinople qu'il avait de ses propres yeux vu détruire par les Turcs, formaient plus de 120,000 volumes. Que Digitized by Google PAR LES. TURCS OTTOMANS 145 d'ouvrages, ainsi perdus pour toujours, auraient encore subsisté sans le sac de Constantinoplè; que de copies au- raient servi, depuis, à une plus exacte lecture des auteurs qui nous restent ! Nous n'insistons pas non plus sur ce fait que l'invasion ottomane a été une entrave -à cette belle renaissance de TEurope njéridionale. En effet, nul Etat voisin n'a pu se mettre à Tabri des incursions de ces nouveaux barbares; toutefois, l'Europe, sauf quelques exceptions qui n'ont pas été de longue durée, s'est montrée supérieure dans ses guerres contre les infidèles; c'est pourquoi elle ne leur a jamais permis de dépasser d'une manière définitive les limites des pays ordinairement considérés comme appar- tenant à l'Orient. Néanmoins , la profonde stupeur ressentie en Eu- rope après le triomphe de Mahomet II, juste et ration- nelle sans doute, était légitimée plutôt par un sentiment inconscient et spontané que par une exacte apprécia- tion des circonstances. Les souverains et les princes de l'Eglise en Occident, après avoir envisagé avec une im- pardonnable indifférence les dangers qui menaçaient les derniers débris de l'empire byzantin, furent ensuite saisis subitement d'une terreur panique lorsqu'ils connurent la prise de Constantinople : ils craignirent que les janissai- res ne vinssent détruire les autels du Christ en Hongrie et en Allemagne, que l'Italie ne pût échapper au joug musulman, et que bientôt ils ne vissent les basiliques de Rome transformées en mosquées. Heureusement un sem- blable et si complet bouleversement ne s'effectua pas ; il survint toutefois un changement auquel les historiens de nos jours n'ont pas voulu donner toute l'attention qu'il mérite : la conquête musulmane détruisit non- seulement Digitized by Google 146 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE toute trace de la civilisation dans ses propres foyers et dans son berceau primitif, mais encore, en mutilant cette par- tie de l'Europe, elle priva celle-ci de divers avantages et profits qu'elle en aurait tirés, si le christianisme en Orient avait conservé sa propre autonomie. Pour cette raison, la chute de Constantinople , en consacrant et en affermis- sant la conquête ottomane, a été, pendant de longues an- nées, considérée à bon droit comme un événement très important de l'histoire universelle et particulièrement de l'histoire de l'Europe. Ceux qui dernièrement ont soutenu une opinion contraire, soit pour avancer une nouveauté, soit pour servir des intérêts personnels ou des passions politiques, ont sciemment altéré la vérité. Au point où en étaient arrivées les choses en Orient, surtout durant les deux siècles précédents, le christia- nisme de ces contrées ne pouvait plus par ses seules for- ces repousser les nouveaux périls qui le menaçaient, s'a- vançant de l'Asie : tous ceux qui ont étudié l'histoire de cette période en sont généralement convaincus. Néan- moins les Etats de l'Europe avaient de puissants motifs pour tenter d'entreprendre cette oeuvre ; et, si l'Occident avait voulu employer dans ce but la moitié seulement des hommes et des ressources qu'il sacrifia dans les expédi- tions des Croisades, s'il avait montré plus d'intelligence et de perspicacité, il est hors de doute pour nous que son but aurait été atteint. Nous sommes loin de penser que l'Europe aurait dû assumer une pareille entreprise par pure humanité, par sentiment, ou simplement poussée par le zèle religieux, mais bien à cause de ses propres inté- rêts mieux entendus. Supposons, en effet, qu'au lieu des nombreuses mais intempestives et incohérentes tentatives des papes, des' Vénitiens, des rois de Hongrie, de Naplesj Digitized 'by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 147 de TEspagne, de la France^ on eût combiné, au moment opportun, une seule expédition sous un chef unique; nous ne doutons point que les Musulmans eussent été chassés non seulement du sol de l'Europe, mais même de toutes les côtes de l'Asie et de F Afrique; on aurait pu fonder alors à Constantinople un nouvel empire chrétien, ayant rétendue que possédait TEmpirc byzantin au vu® siècle, avant les conquêtes des Arabes : cet Etat, héritant d'un côté des habiles traditions administratives de- l'ancienne monarchie byzantine, et, de l'autre côté, modifiant et per- fectionnant celles-ci graduellement d'après les progrès chaque jour plus sensibles que faisait le monde occiden- tal dans ses mœurs et son organisation politique et sociale, serait devenu très puissant, très riche et très prospère. En conséquence, au lieu d'avoir vu une interruption d'en- viron quatre cents ans dans les rapports commerciaux de quelque impo;-tance entre TOccident et l'Orient, par suite du manque jusqu'à ces derniers temps, dans les pays mu- sulmans, d'ordre, de sécurité et de vie industrielle, l'Oc- cident aurait continué à y trouver un champ d'action, chaque année plus vaste, pour son activité productive, son commerce et sa marine. Quel im.mense contraste ! Pour nous former une idée, même légère, des avanta- ges qu'en aurait retirés l'Europe, si alors on avait établi en Orient un nouvel Etat chrétien à la place de FEmpire ottoman, il suffit de rappeler quels étaient les revenus de la monarchie byzantine aux ix® et x® siècles, et de com^ parer ses richesses avec la situation économique de l'em- pire des Sultans, non à la période de décadence des xvu* et xviiî® siècles, mais au xvis au moment de sa plus grande force et de toute sa splendeur. Nous connaissons pertinemment que, sons la dynastie Digitized by Google 148 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE macédonienne, les revenus publics de TEmpire s'élevaient à près de 700 millions de francs (valeur de l'argent à cette époque); pourquoi donc le nouvel Etat chrétien de Constantinople n'aurait-il pas pu, après quelques années de paix, recouvrer la richesse et la prospérité qu'il pos- sédait au moins à la veille des Croisades? Inutile d'ajou- ter qu'à défaut même d'autres renseignements sur la po- sition économique d'un pays, les revenus publics peuvent, jusqu'à un certain point, servir de critérium pour avoir une idée de ses transactions commerciales et de la richesse des particuliers ; car nous ne saurions admettre que les revenus considérables de cette époque fussent le résultat d'une oppression aveugle et au-dessus des moyens des populations, puisqu'ils ont duré plusieurs siècles. Par rapport à de tels revenus qu'aurait pu avoir un Etat chré- tien, voyons quels étaient les revenus publics de l'Empire ottoman à l'époque désignée par le grand nom de Suléy- man le Magnifique ; là dessus nous avons un exposé dé- taillé d'Ottaviano Bono, ambassadeur de Venise à Cons- tantinople au commencement du xvii* siècle (1604-08): suivant cet exposé, publié récemment, le total des recet- tes du trésor public, au xvii® siècle, ne dépassait guère le chiffre de 5 à 6 millions de ducats, soit 70 à 80 millions de francs (valeur de l'argent à cette époque) -, en 'd'autres termes, l'empire turc, au moment de sa plus éclatante pros- périté intérieure et extérieure, et lorsqu'il exerçait sa domi- nation sur des territoires beaucoup plus vastes que ceux qui obéissaient à la dynastie macédonienne, ne recueil- lait néanmoins qu'à peine le dixième des revenus de cette dynastie. Il va sans dire que ces grandes richesses de l'Etat chrétien, loin de décroître, comme cela est arrivé avec le temps pour la Turquie, auraient au contraire acquis Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS 149 un plus grand développement, grâce à l'extension du com- merce d'importation et d'exportation, qui eût naturelle- ment augmenté à proportion même du bien-être et des progrès intellectuels et matériels de TOccident ; et nulle partie du monde civilisé n'aurait été privée des avan- tages de. ce grand mouvement commercial et indus- triel. Si aujourd'hui, et après que ces transactions étaient demeurées presque totalement interrompues pendant qua- tre cents ans, l'Europe tire tant de profits dans la reprise des rapports variés avec des contrées rendues naguère inhabitables, pour ainsi dire désertes, ou dénuées de res- sources, que de trésors n'auraient pas passé dans ses mains, si ces échanges internationaux n'avaient jamais été interrompus ! Non-seulement nous aurions été en droit d'atten(ire de semblables résultats, mais même, si le christianisme avait prédominé en Syrie et en Egypte, dès cette époque se se- rait trouvé assuré le transit par l'isthme de Suez. L'Eu- rope, au li«u d'effectuer ses échanges commerciaux avec les Indes et l'Extrême-Orient par le trajet long et dange- reux du cap de Bonne-Espérance, aurait toujours eu à sa disposition la facile et courte voie de Suez, dont elle n'a pu tirer parti que de nos jours. En somme, l'in- fluence de r Orient chrétien sur le perfectionnement mo- ral et intellectuel du monde moderne n'aurait pas été circonscrite à la seule action d'un petit nombre de sa- vants grecs qui cherchèrent un refuge en Occident. Pour nous tenir aux questions principales de ce sujet, la réformation religieuse du xvi* siècle, en n'étant pas pous- sée aux extrêmes limites, vers lesquelles elle a été forcé- ment emportée, aurait pris un caractère plus modéré, moins novateur ; tout en protestant contre les abus et les Digitized by Google l5o LA PRISE DE CONSTANTIHOPLE excès de TEglise romaine, tout en s'en séparant, la Ré- forme n'aurait pas brisé violemment tous les liens avec les vieilles traditions de TEglise primitive; elle aurait, dès cette époque, trouvé un moyen rationnel de s'entendre avec elle ; c'est ce qu'elle s'eflForce de faire de notre temps, après que par de longues et douloureuses épreuves la Ré- forme s'est convaincue que, si le pouvoir absolu et sans contrôle des pontifes romains est absolument inconcilia- ble avec les bases fondamentales du christianisme, la liberté illimitée du protestantisme n'en devient pas moins la cause de très déplorables exagérations. Mais, objectera-t-on sans doute, l'établissement d'un nouvel empire chrétien en Orient, dû aux efforts combi- nés de toute l'Europe, eût entraîné, comme résultat, pour ainsi dire, la transfusion du monde occidental tout en- tier en Orient, et aurait été surtout le triomphe du pape; par conséquent il est difficile de comprendre de quelle façon auraient pu être sauvegardés les principes de l'E- glise orientale, et, en général, quel avantage auiait pu reti- rer l'hellénisme de celte invasion de tant d'éléments hété- rogènes. Quant à nous, — en reprochant à l'Europe occidentale de n'avoir pas empêché, et ensuite de n'avoir pas chassé l'invasion musulmane, ainsi que n'ont cessé de le faire nos malheureux pères pendant quatre cents ans, — nous entendons parler d'une intervention sage et pré- voyante, d'une assistance surtout morale, qui seule aurait pu produire d'une manière stable les bienfaits mentionnés plus haut et des résultats sérieux et avantageux pour tous. Nous ne partageons pas, non plus, l'idée que le monde eu- ropéen fût alors incapable de montrer tant de prudente intelligence et de sage modération, puisque nous envoyons des traces évidentes dans la manière de gouverner Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS l5l adoptée au moins par quelques-uns des conquérants du xiii« siècle : ni les Villehardouin, ni les de La Roche, ni même les Vénitiens ne déclarèrent jamais une guerre ostensible à l'Eglise grecque et à la nationalité hellénique. En soutenant donc que T Europe occidentale commit alors une faute immense en n'entreprenant pas sérieusement d'expulser les Turcs pour réédifier im grand et puissant empire chrétien en Orient, nous voulons parler d'im Etat ayant la ferme volonté de se rapprocher et de vivre en bons termes avec l'Eglise d'Orient^ de respecter générale- ment les mœurs et le caractère des indigènes, de les em- ployer dans Tadministration et dans l'armée, et en même temps de leur communiquer Tesprit de la civilisation mo- derne, tout en sachant utiliser ce qui restait dans le pays des anciennes traditions intellectuelles et administratives. D'une semblable combinaison devait, à notre avis, naî- tre un Etat représentant mieux que tout autre l'union pro- gressive de l'ancien monde et du monde nouveau. C'est un pareil Etat que, pendant mille ans, s'était efforcée d'ins- tituer la monarchie indigène de Constantinople ; mais ses tentatives échouèrent à cause des guerres incessantes qu'elle eut à soutenir contre tant d'ennemis pendant toute la durée de son existence ; et, parmi ces ennemis, il nous faut compter, non sans une douloureuse surprise, à partir du XI* siècle, l'Europe occidentale. Il est évident que, si un tel Etat eût été fondé en Orient, la nation hellène aurait rapidement et nécessairement joué le premier rôle, grâce à ses traditions, à son génie, à sa langue et à son activité; elle n'aurait pas eu à subir les dé- sastres immérités et inouïs auxquels elle se trouva con- damnée ces quatre cents dernières années; elle n'aurait pas continué à voir la funeste et rapide décroissance de sa Digitized by Google l52 LA PRISE DE CONSTANTINOPLE population et de sa prospérité ; elle n'aurait pas vu rétro- grader son développement intellectuel ; au contraire, en acquérant plus de forces et d'extension de toutes manières^ elle ne se trouverait point, comme aujourd'hui, dans la nécessité de recommencer sa constitution nationale des premiers temps; on est enfin en droit de penser que l'hel- lénisme occuperait de nos jours, dans le monde civilisé, uile situation éminente et digne de ses anciens efforts et de ses séculaires aspirations. On serait peut-être tenté d'opposer une observation à ce tableau si riant et si beau de ce qu'aurait pu être notre passé, tandis que douze générations de nos pères ont connu à leurs dépens quelle en a été la terrible réalité : l'Europe était-elle alors, objectera-t-on encore, en mesure de mettre obstacle à l'œuvre destructive des envahisseurs ottomans? — Pareille entreprise exigeait assurément une conception plus élevée des intérêts généraux de la civili- sation, une unité de vue et d'action que n'avaient pas et ne pouvaient peut-être pas avoir, à cette époque, les diverses puissances de l'Europe qui se trouvaient dans un état de formation embryonnaire et n'avaient pas alors établi des rapports internationaux suivis. Si, de no- tre temps, l'Occident parvient à grand 'peine à se mettre d'accord sur la question d'Orient, il serait malaisé d'ad- mettre qu'il aurait pu, il y a plus de quatre siècles, adop- ter une politique différente de celle qu'il a suivie, alors que l'esprit politique était peu éclairé, et que les petits intérêts personnels et les compétitions étaient plus puissants et s'imposaient avec plus de force que de nos jours. L'Europe, enconséquence, n'était pas capable de diriger avec l'habi- leté et l'intelligence suffisante les forces dont elle disposait. — Voici notre réponse : — Il faut cependant admettre que Digitized by Google PAR LES TURCS OTTOMANS l53 ces forces eussent été plus que suffisantes pour écraser l'en- nemi venu de Tintérieur de TAsie : Jean Hunyade seul eut souvent raison dès armées ottomanes; Scander-beg, avec ses seules forces^ ou les défit, ou les força maintes fois à la re- traite; Constantin Paléologue avec une poignée d'hommes résolus, pendant le dernier siège de Constantinople, mit le sultan dans l'embarras; comment donc serait-il permis de douter qu'un effort sérieux et bien combiaé de la part de l'Europe n'aurait pas détruit comme une toile d'arai- gnée l'empire ottoman? En outre, l'histoire nous montre que les Turcs, en aucune période de leur existence, n'ont été invincibles. Mahomet II régna jusqu'en 1481, c'est- à-dire plus de trente -sept ans après la prise de Constantino- ple; dans cet intervalle, il conquit le royaume de Trébi- zonde, l'Albanie, l'Eubée, la Grèce proprement dite et une partie du Péloponnèse. Toutefois, en n'ayant affaire qu'aux Vénitiens, aux Hongrois, ou aux chevaliers de Rhodes, il ne réussit point, tant s'en faut, à compléter la conquête de tous les pays chrétiens de l'Orient : de Rhodes, qu'il as- siégea en 1480, il fut repoussé après deux mois d'attaques désespérées, et cette île ne tomba au pouvoir des Turcs qu'en i523 sous le sultan Suléyman P'. Chypre ne suc- comba qu'en iSyo, sous Sélim II; l'île de Crète ne fut sou- mise aux Musulmans qu'un siècle plus tard, en 1669, sous Mahomet IV; les îles Ioniennes ne subirent jamais le joug ottoman. En 1687, sous Suléyman II, Venise parvint à re- prendre Je Péloponnèse; et elle ne fut forcée d'abandon- ner définitivement cette presqu'île qu'en 171 5, sous Ach- met III, cent ans environ avant la guerre de l'indépendance hellénique. De tous ces faits que nous venons d'exposer succincte- ment, on doit conclure : que l'Europe occidentale aurait Digitized by Google l54 * LA PRISe DE CONSTANTINOPLE dû, pour ses prDt)res iirtérêts les plus chers et les plus pré- cieuXj détruire TEmpire ottoiaan; qu'elle possédait les forces nécessaires • pjwr le faire, mais qu'il lui manquait malheureusement pour cela l'intelligence politique, et cette entente sincère qui, plus ou moins intime, aurait dû exis- ter entre les gratids Etats, Quand l'Europe a commis, la première, *une faute si capitale , il serait équitable qu'en retour elle montrât plus d'indulgence pour les fautes et les erreurs .des infortunées populations de l'Orient. FIN LE PUY. — IMPRIMERIE MARCHBSSOO PILS^ BOULEVARD SAINT-LAUREUT, 23 •• Digitizedby Google 4 B I B L I O G R A Rïi I E LISTE ;• ■ OES PRINCIPAUX OUVRAGES ET AIJTEUR^ CONSULTÉS AUTEURS GRECS Sylvestre Syropulo ( Vera historia unionis non verae inter Graecos et Latinos, sive Concilii Florentini exacttssima narfatiOj en i;rcc). Michel Ducas {Histoire de VEmpire d'Orient^ en grec)- Georges Phranzès [Chronique de Constaniinople, en grec). Léonard de Chios [De capta a Mehemete II Constant inopoli nar- rationes, en latin). Laonic Chalcocondyle {Histoire de la chute de l* Empire grec, en grec). , Michel Critobule, ou plutôt Critopulo, d'Imbros {Libri quinque de rébus gestis Mehemetis, en grec). S. D. Byzantios [Constantinople, en grec). Spyridion Zambelios (Études byzantines, en grec). Marc Renieri {Études historiques, en grec). Constantin Sathas (ses divers ouvrages historiques, en grec). Constantin Paparrigopulo {Histoire générale de la Nation Hellé- nique, en grec. AUTEURS ITALIENS Ubertino PuscliIo {Carmen de capta Constantinopoli^ en latin). Nicolô Barbaro (Journal du siège de Constantinople en 1453, en italien) Georges Dolfino [ChYonique du siège et de la prise de Constantino* pie en 1453^ en italien). Digitized by Google Digitized by Google Digitized by Google Digitized by Google Digitized by Google ^<>*1 ,^^^^; ://> i'K^-i: Il ISâ.D 153. L«« d«ml«r« |our« de Consian Wener Ubrarv 006H0754 riiiiîMljlllll 3 2044 088 776 513 ;m. y